Il est intéressant de constater que dans son guide en ligne sur la féminisation l’Office québécois de la langue française souligne l’importance de cette pratique. Cependant, dans le reste de ses articles sur le sujet, on relativise assez vite cet usage, on utilise des arguments très étranges pour justifier sa position et on semble être aveugle à certaines formes de féminisations qui, pourtant, régleraient beaucoup de problème.
Je me baserai uniquement sur le contenu en ligne de l’OQLF puisqu’il est mis à jour contrairement à l’ouvrage de l’Office publié sur le sujet en 2006 (Avoir bon genre à l’écrit : guide de rédaction épicène).
L’importance de la féminisation pour l’OQLF
Tout d’abord, deux points dans la FAQ sur la féminisation nous indiquent l’importance considérable de la féminisation pour l’organisme. D’abord, le point 1, qui historicise un peu l’absence d’emploi de noms de métier pour les femmes et souligne l’importance, à notre époque, d’en tenir compte. Le point 2 va cependant plus loin (je souligne) :
« 2. Utiliser les noms de personne au féminin est-il obligatoire?
L’emploi du féminin n’est pas obligatoire en ce sens que l’omission des noms féminins ne constitue pas une erreur de vocabulaire ou de grammaire. Par contre, leur emploi est souhaité et encouragé si l’on veut rendre visible la présence des femmes dans les textes, et par là même, leur place dans la société. »
Bref, il ne s’agit pas d’une faute de français, mais d’une faute morale si la féminisation n’est pas présente. Le point 3 souligne mieux encore cet état de fait avec l’emploi d’une note explicative :
Dans ce texte, le masculin englobe les deux genres et est utilisé pour alléger le texte, ne permet pas l’emploi des noms féminins et empêche par le fait même d’accorder une certaine visibilité aux femmes dans les textes. »
Avec ces trois points, nous pouvons donc penser que la féminisation, si elle n’est pas obligatoire, est très fortement conseillée dans les textes pour l’Office.
L’OQLF relativise
« Il est vrai que les textes féminisés sont parfois jugés inutilement lourds et redondants » nous dit la FAQ pour ensuite nous expliquer que c’est effectivement le cas lorsqu’on féminise le texte après coup et non pas durant la rédaction (ce avec quoi nous sommes parfaitement d’accord). Cependant, dans sa page sur l’allègement du texte, l’OQLF nous propose de nouvelles règles « [p]our éviter que les textes dits « féminisés » soient inutilement lourds ». Un commentaire étrange, et déjà vu, accompagne cette phrase : « reproche que l’on entend souvent ». Il semble assez étrange que l’Office prenne la peine d’ajouter cette remarque puisqu’elle n’est pas vraiment fiable et se réfère à un «on» très mal situé et pas vraiment justifié. On entend souvent que le passé simple est difficile à conjuguer, mais on ne le simplifie pas pour autant. C’est pourtant ce que l’OQLF tente de faire en ajoutant une règle étrange dans la féminisation des textes : « L’alternance du doublet et du masculin générique permet de varier l’écriture et d’éviter le suremploi du féminin. » pourquoi? Car « L’essentiel est de faire sentir la présence des femmes tout au long du texte » tout simplement.
C’est cependant ce même masculin générique que l’on critiquait d’empêcher d’accorder de la visibilité aux femmes dans les textes. Revenons sur cet alternance du doublet et du masculin générique. En gros, l’OQLF nous recommande de laisser au masculin les «appellations générales» masculines, mais pas les plus spécifiques laissant le tout très vague bien que deux exemples sont fournis. On se demande ainsi quelle est la différence entre le fait de ne pas féminiser «le citoyen», mais «droit de l’homme» oui. Bref, on complexifie une simple règle de féminisation en ajoutant des exceptions.
L’OQLF et les troncatures
Pour l’Office, il n’existe qu’une seule et unique manière de féminiser, ce sont les doublets. Selon la FAQ, l’emploi d’une forme tronquée « rend la lecture difficile et nuit à la compréhension du texte. ». Heureusement, une liste des graphies tronquées à éviter existe et nous permet d’en connaître un peu plus sur cette lecture compliquée. Nous comprenons très bien la réticence en ce qui a trait à l’utilisation de parenthèse pour justifier puisqu’elles « servent essentiellement à intercaler dans un texte, en les détachant, un élément accessoire, une précision ». La barre oblique aussi est rejetée « puisqu’elle sert surtout à marquer un rapport d’opposition entre deux mots ou deux idées ». La féminisation se voulant inclusive ne devrait pas prendre ces formes puisqu’elle minimise les femmes ou les mets dans des rapports d’opposition avec les hommes.
Les autres graphies ont des justifications plus étrange :
– Les trait d’union n’est pas accepté (je souligne) « puisque ce signe sert principalement à unir des éléments formant un mot composé, et non à distinguer des parties de mots ». Nous pensons que l’usage peut être changé sans problème. Pourquoi un même signe ne pourrait-il pas remplir deux fonctions dans un mot?
– Le point est rejeté puisqu’il correspond à une pause longue. Nous pouvons comprendre l’importance de ne pas l’utiliser à la fin d’un mot, mais à l’intérieur d’un mot?
– La virgule a une définition un peu compliquée alors que l’Office veut simplement rejeter son emploi puisque la féminisation, à l’aide d’une virgule, ressemble à de la séparation de mots ou une énumération (ex : citoyen,ne,s).
– Finalement, la majuscule semble être abhorrée pour féminiser (je souligne) : « Dans la suite de lettres qui composent un mot, la majuscule ne peut occuper que la position initiale. L’insertion d’un E majuscule pour souligner indûment la féminisation est une incongruité graphique irrecevable. ». À cela, on pourrait répliquer que, justement, contrairement aux autres signes de ponctuation, la majuscule peut obtenir un tel emploi au milieu ou en fin de mot puisqu’elle ne prêterait nullement à confusion avec un autre emploi de la majuscule. La FAQ est peut-être plus juste dans son justificatif : « la majuscule peut faire croire que l’on ne parle que des femmes ». Sur ce point, l’OQLF a raison puisque cette graphie est généralement employée par des groupes de femmes ou de féministes qui veulent insister sur la présence de femmes dans le texte avec cette graphie. On se calme les nerfs quand même l’OQLF, ce n’est pas si pire.
Nous avons aussi, en fin d’article, le refus de certaines formes combinées comme illes (qui pourtant existe depuis 1987) ou ceuses. La justification semble aberrante : « Même si ces combinaisons graphiques permettent d’introduire l’idée que la phrase évoque des femmes comme des hommes, elles compliquent la lecture et l’accord des éléments qui suivent » Ainsi, ce n’est pas parce que ces mots n’existent pas, mais parce qu’ils compliquent la lecture (???) et l’accord (pourtant facilement résout).
Évidemment, l’OQLF passe sous silence d’autres formes de féminisation. Même si on exclue la barre horizontale «|» ou la barre oblique inversée «\» auquel l’Office pourrait nous ressortir le même argument que pour la barre oblique, il reste cependant deux autres formes : le point médian «·» qui est très semblable au tiret à la différence qu’il n’a pas la fonction d’un tiret et la féminisation en italique «e» (très rare, il est donc un peu normal qu’on ne l’ait pas cité).
Conclusions
Malgré de bonnes intentions (meilleures que l’Académie Française…), l’OQLF semble donner une visibilité linguistique aux femmes uniquement dans les titres et les noms de métiers. Cette visibilité n’est cependant pas une égalité linguistique et on est loin d’avoir des explications convaincantes quant à une supposée lourdeur du texte (favorisée par l’emploi de doublets) qui favorise l’emploi de masculin générique dans plusieurs situations. Bien que nous comprenons le rejet de l’emploi de barre oblique ou de la parenthèse, d’autres formes (virgule, point, majuscule) sont rejetées rapidement sans raison solide et d’autres (point médian, féminisation en italique) sont tout simplement occultées. Nous sommes aussi loin d’avoir une véritable ouverture avec l’emploi de formes mixtes pour des raisons fallacieuses (complexification de la lecture, problème d’accords subséquents).
Bref, l’OQLF ne trouve donc important que la féminisation de certains noms pour marquer son appartenance à une époque plus progressive. Nous oublions complètement la création de formes neutres (sinon épicène) ou des troncatures. L’Office s’aventure encore moins sur le chemin de l’accord de proximité (pourtant une règle qui existait avant le XVIIe siècle).
Je ne fais peut-être pas justice à l’OQLF en pensant qu’elle n’a pas beaucoup bougé depuis la féminisation des titres et fonctions en 1980, mais l’Office ne la fait certainement pas aux femmes en gardant les mêmes règles sexistes et en recommandant de féminiser un minimum par peur d’une soit-disante lourdeur (alors qu’une étude sur la lecture d’un texte féminisé montre très bien que ce n’est pas la perception du lectorat).
J’opterais pour la formulation du e majuscule (les aînéEs) que j’ai d’ailleurs vue sur la devanture d’un café lors d’un voyage à Paris. Les femmes sont tannées d’être mises entre parenthèses (aîné(E)s, d’être mises en opposition (aînés/aînés) et toute autre forme proposées par l’OLF qui dévie le débat de la présence (52%) justifiée des femmes. Bien sûr si l’épicène n’existe pas.