The Feminist Utopia Project (Collectif)

The Feminist Utopia Project

The Feminist Utopia Project; Fifty-Seven Visions of a Wildly Better Future est une anthologie de 57 nouvelles, entrevues et courts essais sur un monde meilleur, devenu égalitaire sans être pour autant devenir un lieu «post-féministe» puisque c’est le féminisme qui permet l’élaboration de cet endroit favorable. 57 courts textes qui touchent des sujets différents et variés incluant le handicap, le sport, le genre, la mode, le travail, la maternité, la justice, les prisons, etc. par des personnes qui œuvrent dans des domaines touchant à ces sujets.

Le fait que les éditrices aient décidé de rejoindre des journalistes, célébrités, chroniqueuses, blogueuses, activistes pour l’élaboration du collectif plutôt que des écrivaines (il y en a tout de même!) aurait pu être intéressant, comme pour l’excellent ouvrage Octavia’s Brood qui effectue une sélection similaire, mais les textes ne semblent pas avoir édités ou relus du tout, plusieurs textes se ressemblent terriblement et on fait difficilement face à des nouvelles très attrayantes ou même originales.

Les personnes amatrices de science-fiction et d’utopies pourraient aussi être déçues par les nouvelles, extrêmement courtes qui peuvent presque toutes être résumées en une même formule narrative:
Protagoniste dans un futur comparant son existence à notre époque pour une raison X (souvent dans un cadre de recherches), ne comprend pas comment notre époque pouvait être aussi anti-féministe, anti-trans, sexiste, misogyne, etc. Décrit la réalité de son époque et comment, sans être un monde nécessairement parfait, il n’y a plus de problème pour les femmes/personnes trans/personnes handicapées/etc.

Dès le début de l’ouvrage, on rencontre un exemple de cette formule avec deux textes presqu’identiques mis côte-à-côte « Dispatch from the post-rape future » et « Dispatch from a body perfect world ». Deux mondes post-discriminatoire où, dans l’un, la discrimination corporel et, dans l’autre, le viol n’existent plus. Cela ne fait pas de ces nouvelles des textes intéressants surtout lorsque la chute du premier est de mentionner que le mannequin que l’on suit dans la nouvelle (à travers de courts articles journalistiques) est dans la quarantaine.

Il ne s’agit cependant pas que de nouvelles fictives situées dans le futur, plusieurs sont plus personnelles « My Own Sound », se passent au présent « Reproductive Supporters ; Our bodies, Us », certaines sont des essais quasi-académique « Finding an Erotic Transcendance; Sex in a Feminist Utopia ». Ces essais détonnent fortement au sein des fictions présentes ou des entrevues qui mettent plus l’accent sur l’utopie possible que les utopies déjà testées. C’est le cas de l’essai très théorique de Madeleine Schwartz qui parle des bénéfices de l’obtention de plus de temps (et moins de travail). L’anthologie comprend aussi une douzaine d’entrevues entre les éditrices et des célébrités/personnalités féministes et plusieurs illustrations.

Le petit format du livre n’est cependant pas adapté aux dessins qui sont souvent beaucoup trop réduits. En plus de la maigreur du format, les marges de plus d’1cm de chaque côté n’aident vraiment pas à mettre l’image en valeur. On aurait aimé voir disparaître les numéros de page et les indications concernant l’œuvre afin que l’illustration puisse prendre toute la page et perdre un peu moins de ses détails. L’œuvre « Renouncing Reality » perd, à cause de ces contraintes, presque tout son charme et ses détails. Chapeau cependant à « What will children play with in Utopia » qui réussit à intégrer le paratexte au sein de l’image.

La quatrième de couverture qui promet une « groundbreaking collection, cutting-edge voices » est donc plus vendeuse que réelle, les techniques narratives sont les mêmes, les sujets abordés l’ont déjà été dans d’autres romans, nouvelles, etc. avec beaucoup plus de style. La seule originalité de l’ouvrage est peut-être l’inclusion de quelques dessins, illustrations, images et bandes-dessinées, mais encore là, rien de révolutionnaire. Bref, on a plus affaire à une pâle imitation d’ouvrages comme Octavia’s Brood qu’un livre inusité avec des récits neufs. La collection s’adresse probablement donc plus à de nouvelles lectrices ou nouvellement initiées au féminisme (pour découvrir une panoplie de champs de réflexions différents) qu’à la lectrice de science-fiction ou la féministe académique. C’est pourtant le genre de livre qui pourrait être très intéressant à donner à l’étude dans des cours de secondaire: les nouvelles sont accessibles et abordent de manière assez détournée certains thèmes et sujets pour en rendre la lecture intéressante.

Avant d’aborder certains textes plus directement, un mot sur le type d’utopie qui est projetée dans ce collectif. Il ne s’agit pas tant d’utopie au sens de non-lieu, mais d’eutopie au sens de bon-lieu. En effet, ce sont toutes des utopies désirables et possibles pour les auteures des textes; il s’agit d’imaginer ce que le futur serait très concrètement (parfois trop), et quels seront les changements pour les femmes dans ces lieux futurs. Il ne s’agit pas non-plus de ne plus avoir de «struggle» comme le souligne Melissa Harris-Perry puisqu’un monde sans lutte est un monde inintéressant, elle fait d’ailleurs allusion au film Matrix à ce sujet.

Les textes notables
« My Own Sound » de Christine Sun Kim est le premier texte qui retient mon attention. Elle introduit à travers une (auto)fiction à la première personne le rejet du blâme du «handicap» sur le reste de la société, c’est-à-dire qu’il ne s’agit pas de considérer la «personne handicapée» comme la personne avec un problème, mais plutôt la société comme «société handicapée» qui est incapable de s’ajuster aux personnes qui vivent en son sein. Elle y parle de comment elle peut obtenir une véritable disposition de son corps si le ton de sa voix (qu’elle ne peut entendre) n’est pas constamment policée, jugée et condamnée. Cette libération du corps permet aussi la libération de nouvelles formes d’expression qui ne sont probablement pas étrangères à son travail d’artiste.

« A List of Thirty-Three Beautiful Things to Wear on Your Breasts » de Sarah Matthes est une parodie des listicles interminables de site Internet comme Buzzfeed (on y fait d’ailleurs référence). Bien faite, bien écrite et très drôle, on est content qu’il n’y en ait qu’une dans le recueil.

« The New Word Order » d’Amy Jean Porter, œuvre composée d’illustrations de définitions, est la seule, étrangement, à adopter un nouveau langage où les connotations négatives sont supprimées des mots ou encore fortement transformées dans le futur. Par exemple, le mot «princesse» désignerait un niveau post-doctoral. Le seul reproche que l’on peut faire à ce petit dictionnaire de termes illustrés est qu’il aurait pu être beaucoup plus long.

« Justice » de Mariam Kaba est une de ces nouvelles réussies avec un beau style d’écriture. Une application remarquable du principe de justice transformatrice qu’elle vulgarise très bien au sein de sa fiction en même temps qu’une très bonne critique des prisons au sein d’une intrigue accrochante. On trouve cependant dommage que la formule de l’incompréhension d’une époque (ici d’une autre planète, c’est qui est déjà plus original) est reprise pour comparer les deux sociétés.

L’entrevue avec Lauren Chief Elf est très intéressante en ce sens qu’elle permet, à travers la notion d’utopie, de penser les changements dans les structures, mais aussi ce qui se transforme quand les gens ne changent pas. Elle imagine dans l’entrevue un système de justice réparatrice institutionnalisé et pense en détails les structures et institutions judiciaires futurs, réfléchit à leurs défauts, mais regarde aussi quels sont les avantages à garder des institutions présentes. Cela lui permet de penser un système qui met l’accent sur la personne victime d’une agression, et de centrer les institutions sur elles dans ces cas particuliers.

On appréciera finalement le dernier texte, une entrevue avec un groupe de musique de femmes d’une dizaine d’année, qui donne la parole aux enfants/ado sur le monde dans lequel elles grandissent et le monde qu’elles désirent voir. C’est une manière de voir l’utopie en développement et les nouveaux défis qui attendent la prochaine génération.

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