Analyse de l’encadrement métadiégétique de François le Champi de George Sand

Très simplement, l’encadrement métadiégétique est ce qui encadre/commente la diégèse, soit le récit présenté. Pour ce cas précis, il s’agit de l’avant propos de l’oeuvre, mais aussi, dans une certaine mesure (les frontières n’étant jamais complètement closes), le récit du chanvreur. Dans ce billet, nous analyserons l’inscription de la nouvelle dans un contexte plus large.

Le roman de George Sand, François le Champi, débute avec un avant-propos dans lequel deux amis discutent longuement (pp.21 à 35). Il pourrait s’agir, comme le suggère un commentaire de Maurice Toesca à la fin du livre, «d’une conversation [de George Sand] avec un ami» qui essaie de prouver «l’originalité de son œuvre». Cette analyse, qui s’étendra plus en profondeur sous la plume de Toesca est satisfaisante, mais guère complète à notre avis. À aucun moment son auteure ne souligne combien l’avant-propos est lié au roman et combien la structure du récit dépendant des discussions soulevées dans l’avant-propos.

L’avant-propos débute ainsi : «Nous revenions de la promenade, R*** et moi, au clair de lune qui argentait faiblement les sentiers dans la campagne assombrie.» (p.21) Deux protagonistes sont ainsi positionnés dans une atmosphère plutôt champêtre, ainsi que le roman sera, dès le départ. Le premier chapitre du roman reprend le même environnement, ou peu s’en faut :

«Un matin que Madeleine Blanchet, la jeune meunière du Cormouer s’en allait au bout de son pré pour laver à la fontaine, elle trouva un petit enfant assis devant sa planchette, et jouant avec la paille qui sert de coussinet aux genoux des lavandières.» (p.37)

Les températures de l’avant-propos et du roman sont aussi très semblables, pour le premier, on parle de «l’approche du lourd sommeil de l’hiver» et dans le second, on mentionne que «le temps n’est pas chaud» et «que ce pauvre champi grelottait», on est d’ailleurs, «au lendemain de la Saint-Martin» soit le 12 novembre.

Ce n’est qu’à la fin de l’avant-propos qu’on apprend cependant que les lieux où sont situés les deux interlocuteurs sont les mêmes que ceux du roman bien que la date n’est pas le même. Bref, nous avons un avant-propos qui se situe au même endroit que le roman, mais beaucoup plus tard dans le temps.
Après les premières lignes de l’avant-propos, le paragraphe relate non seulement l’atmosphère, mais aussi les activités de chaque animaux qui pourrait s’y trouver et presque chaque brin d’herbe : «Les oiseaux font entendre des cris étouffés […] L’insecte des sillons laisse échapper parfois une exclamation indiscrète […] Les plantes se hâtent d’exhaler un dernier parfum, […]». Une description champêtre des lieux qui ne correspond pas vraiment à un avant-propos qui voudrait défendre le roman puisqu’il n’aide en rien au propos qui suivra. On dirait plutôt un prologue du roman.

La page 22 change un peu le ton cependant en amorçant le début d’une conversation entre les deux protagonistes. R*** commence un petite envolée lyrique où il admire ce qui l’entoure, ne cessant de louer la nature et de l’admirer. Il se demande aussi qu’est-ce qui, émanant de l’humain, pourrait bien ajouter à cette nature de par si parfaite aux yeux de l’observateur. Le narrateur précise sa pensée en opposant deux choses : la «vie primitive» qui décrirait la relation qu’aurait un paysan avec la nature et la «vie factice» qui constituerait le mode de vie moderne. S’en suit une discussion sur l’art qui émanerait uniquement de la sensation (associée à la vie primitive) et que la connaissance (artiste, peintre,…) ne pourrait atteindre puisqu’elle deviendrait critique en cherchant à exprimer «le beau, le simple et le vrai».

L’argumentation prend cependant une autre tournure lorsqu’ils commencent à citer des exemples pour illustrer, chacun, le détail de leurs arguments. R*** avance que les sonnets de Pétrarque valent la beauté de l’eau de Vaucluse tandis que son interlocuteur y reconnaît l’esthétique, mais trouve que l’harmonie n’est pas à la hauteur du bruit de la cascade. Ces exemples, qui vont de Pétrarque à Shakespeare en passant par Molière et Ruysdaël nécessitent un certain intertexte pour être compris. En effet, on va chercher à l’extérieur du livre des éléments qui permettent la compression interne de l’avant-propos. En ce sens, on se détache du récit pour aller chercher ailleurs ce qui nous manque dans le livre plutôt que de tout recopier dans l’avant-propos. Cet effet aura d’ailleurs lieu de manière encore plus manifeste vers la fin de l’avant-propos lorsque le second locuteur raconte l’Histoire du chien de Brisquet de Charles Nodier au complet à R*** sans toutefois que le lecteur en aperçoit, autrement que du titre, une seule ligne. Une question se pose alors : le lecteur doit-il lire l’Histoire du chien avant de progresser dans le roman? Car, enfin, cette histoire est montrée comme «être un chef-d’œuvre de genre» et fait pleurer aux larmes R***. Sa retranscription aurait pu être possible, dans les limites du livre, puisque le narrateur mentionne que sa récitation «n’a pas duré cinq minutes». Hors, on parle de l’importance de cette récitation et on ne cesse de rapporter l’histoire à une importance d’oralité. On utilise les termes «réciter l’histoire», «que je sais par cœur», «un trait pour ma voix», «Écoute», «je récitais», … qui marquent fortement l’empreinte de l’oralité du texte. Son caractère oral se manifeste aussi par une absence de texte aussi puisque entre «Écoute.» et «je récitai à mon ami l’histoire de la Bichonne, qui l’émut jusqu’aux larmes […]» il n’y a rien d’écrit.

Les deux compères avancent cependant dans la conversation et concluent tout deux que l’homme primitif qui ne connaît rien des tracas et des ennuis de la société moderne, en bref, le paysan, est «supérieur» au niveau de l’art à d’autres qui sauraient lire et comprendre la musique et la composition des choses. Ils engagent d’autres exemples dans leur argumentaire, cédant, sans jamais les nommer cette fois, la supériorité de certains couplets de complaintes bretonnes à des vers de Goethe et Byron.

Vient alors une remarque intéressante de la part du narrateur qu’on identifie à George Sand :

«J’en conviens, répondis-je; et quant à ce dernier point surtout, c’est pour moi une cause de désespoir que d’être forcé d’écrire la langue de l’Académie, quand j’en sais beaucoup mieux une autre qui est si supérieur pour rendre tout un ordre d’émotions, de sentiments et de pensées.» (pp.27-28)

Intéressante car, l’avant-propos de Sand se différencie drastiquement du reste du roman au niveau du langage. La conversation qu’elle tient avec son ami se fait en français de l’Académie tandis que le reste du texte est plutôt dans un français qu’un berrichon parlerait (on pourrait parler de deux dialectes ici). Ainsi, pour l’auteure, le dialecte berrichon serait beaucoup plus apte à rendre compte de ce qu’elle veut exprimer, tandis que le français académique pourrait servir de captatio benevolentia au public du journal (car le roman parut en feuilleton dans le Journal des Débats politiques et littéraires1, un journal qui, à voir les différents lieux possible d’abonnements, Rome, Paris, Londres devait connaître un grande diffusion plutôt qu’une diffusion uniquement berrichonne).

Cet avant-propos permet aussi à l’auteure d’avancer nombre d’argument en faveur de la langue qu’il utilisera dans son roman. C’est ainsi qu’à la fin de son avant-propos, non seulement il justifie le titre du roman, François le Champi, mais il le qualifie de français et justifie aussi la langue du reste du récit. À la remarque de l’interlocuteur R*** : «Un instant, […], je t’arrête au titre, Champi n’est pas français», il rétorque :

«Je te demande bien pardon, répondis-je. Le dictionnaire le déclare vieux, mais Montaigne l’emploie, […] Je n’intitulerai donc pas mon conte François l’Enfant-Trouvé, François le Bâtard, mais François le Champi, c’est-à-dire l’enfant abandonné dans les champs, comme on disait autrefois dans le monde et comme on dit encore aujourd’hui chez nous.» (p.35)

Il discute donc d’un titre qu’il va utiliser, mais qui a déjà été avancé avant l’avant-propos soit sur la couverture du roman, soit dans le haut du rez-de-chaussée du feuilleton. Cette insistance sur le titre marque aussi plutôt bien la rupture entre l’avant-propos et le début du texte. Ce nous («aujourd’hui chez nous») englobe d’ailleurs plus que seulement le narrateur et le nous berrichon, il englobe aussi Monique, la seconde narratrice qui est supposée raconter l’histoire que la narratrice, présente dans l’avant-propos, a entendu lors de son séjour en campagne.

C’est à ce moment que l’encadrement diégétique qui suivait la discussion entre la narratrice et R*** se perd au profit du roman narré par une narratrice dont on n’entendra pas parler avant la page 83 où elle, Monique, effectue une passation du récit au chanvreur qui poursuit le récit. Ces pages (83 à 85) en plus d’assurer la passation, nous renseigne sur le contexte dans lequel les berrichons assurent la transmissions orales (devant un large publique) et ajoute un certain réalisme en recréant une situation prétendument vraie où les gens se taquinent, plaisantent et tentent de capter l’attention du public de divers manière (que ce soit avec des prolepses, des histoires d’amour qui «font tendre l’oreille aux jeunes filles» ou encore en passant la narration pour ne pas que l’orateur ne s’essouffle).

Le récit ne s’interrompt qu’une fois encore, à la page 111 où le conteur, constatant l’heure avancée, va faire un somme et enjoint les auditeurs à faire de même, mais à se revoir le lendemain. Cette rupture accompagne bien le récit raconté puisque dans l’histoire, François vient de déménager et il se passe trois ans avant que la suite de l’histoire soit racontée. La nuit coïncide très probablement volontairement avec les trois années qui s’écoulent, autant pour le conteur, que pour l’auteure du roman qui peut faire un peu de style et couper le récit quasi en son milieu (entre le chapitre onze et douze alors qu’il en comporte vingt-six en comptant l’avant-propos).

L’encadrement se termine avec la finition du conte par le chanvreur «… Là finit l’histoire» qui annonce cependant rapidement le mariage du champi avec Madeleine et expose la véridicité de son conte en annonçant qu’il était présent aux noces. Il enjoint enfin, dans la dernière phrase du roman, ses auditeurs à aller vérifier d’eux mêmes la véridicité de son histoire. L’appareil de notes du roman nous indique que c’est une «formule que l’on trouve à la fin des contes traditionnels». Cette finition permet à la fois de clore le récit du chanvreur, mais aussi, de manière plus subtile, le récit de la narratrice-auteure.

Bibliographie
JOURNAL DES DÉBATS POLITIQUES ET LITTÉRAIRES du 31 décembre 1847 dans GALLICA. En ligne.
(1847-48) SAND, George, François le Champi, Le Livre de Poche, nº4771, Paris, 1999, 221 pages.

1 L’avant-propos y figure également, voir la première journée de parution [page consulté le 9 mars 2013].
Ce billet est issu d’un travail présenté dans le cours FRA3500 Littérature, culture, médias donné par Marcello Vitali Rosati à l’Université de Montréal le 11 mars 2013.