
Introduction
Le plaisir d’un lecture d’un essai peut, pour moi, varier en fonction non pas seulement du style d’écriture, mais aussi des thèses qui y sont présentées. Autant je peux lire un essai avec lequel je suis d’accord, mais dont le style m’ennuie ou m’endort, autant d’autres peuvent être très intéressants à lire malgré des désaccords fondamentaux. De la même manière, dans la présentation des arguments, je peux complètement rejeter un essai et ses thèses s’il les basent sur ce que je pourrais considérer de fausses prémisses, d’autres fois, je peux simplement être en désaccord avec la conclusion qui se base sur des prémisses qu’on peut partager. D’autres fois encore, il se peut tout simplement que ce soit le propos ou les sujets abordés qui ne m’intéressent pas ou encore qui m’attire. Rarement, je vais rejeter un essai basés sur ma propre idée de comment le monde est constitué, il agit, il pense; je lis justement un essai pour apprendre, confronter mon propre monde, élargir mes horizons, approfondir mes connaissances.
#balancetonporc, écrit par la journaliste Sandra Muller ayant lancé le mot-clic éponyme, est un essai dans une catégorie à part dans les essais que je ne peux pas apprécier. Je suis très accord avec les prémisses, les idées et les conclusions, le style est correct (malgré une importante dose de lampshading, j’y reviendrais), le propos est correct, je considère l’autrice comme ayant accompli un travail extraordinaire et cet essai ne me prouve certainement pas le contraire, mais… il y a clairement non seulement des préjugés, des stéréotypes et des opinions complètement sidérantes, mais on dirait qu’il y a un immense fossé entre ce que la journaliste perçois effectuer comme travail et la réalité dans laquelle s’inscrit ce même travail.
Non pas que Muller fait une bonne action pour les mauvaises raisons. Au contraire, elle effectue définitivement un immense travail, pour les bonnes raisons, le texte nous le laisse entendre, mais ce travail est fait dans l’ignorance complète de ce qui l’a précédée, de ce qui se fait, des luttes des autres et de ce qu’elles signifient (quitte à les mésinterpréter et à les accuser à torts et à travers continuellement). Elle ne s’en cache d’ailleurs pas : elle écrit avoir littéralement « lancé un mouvement féministe » (p.88) toute seule bien qu’elle rejette viscéralement l’appellation de féministe (j’y reviendrais). Le tout en ignorant ou minimisant tout ce qui l’a précédé et l’accompagne, #metoo étant probablement le plus notable. Lire cet essai avec une idée de la lutte féministe en arrière-plan et son rejet total était excessivement frustrant. Je ne sais pas à qui s’adresse cet essai à part aux Raphaël Enthoven de ce monde (des hommes qui se disent pro-féministes, mais qui n’hésite pas à interrompre les femmes et à leur mecspliquer leurs luttes) et aux femmes et hommes profondément antiféministes qui auraient besoin de comprendre un peu pourquoi les femmes dénoncent leurs agresseurs et ne sont pas des victimes (ça ne réglera pas du tout leur antiféminisme ou leur misogynie, mais au moins, ces personnes ne devraient pas détester ce livre et le lire jusqu’au bout).
Résumé
Avant de plonger dans la critique, je me permets un résumé. #balancetonporc de Sandra Muller retrace la genèse du mot-clic que la journaliste française, vivant aux États-Unis depuis plusieurs années, a créé en réaction notamment à l’affaire Weinstein, mais aussi à ses expériences passées avec des agresseurs. À travers l’essai, on a droit, surtout dans les premiers chapitres, à une espèce d’archive des premières discussions, des partages, des réactions, des commentaires, des retweets, etc. du mot-clic ramassées de manières presque compulsives (on sent quand même énormément le genre de personne qui passe beaucoup, beaucoup de temps sur les réseaux sociaux et ce, même avant la création de #balancetonporc). Cette partie est certainement intéressante puisqu’elle me fait questionner la place de l’archivage inexistant des gazouillis et comment on fait pour en parler. Il y a remise en contexte dans le livre, la journaliste parle autant des réactions au gazouillis initial que de gazouillis supprimés, de messages Twitter privés, de conversations hors numériques sur le numérique, etc. qui sont souvent très difficiles à bien cerner. Elle tente aussi de chiffrer l’importance du mot-clic à l’aide d’organismes qui suivent et recensent les chiffres et l’impact de ceux-ci. Puisqu’on parle souvent de chiffres dans les millions, on est souvent un peu largué, et bien qu’on le compare brièvement à d’autres mots-clic pour donner une idée du phénomène, on a une belle impression de la quantité, mais pas vraiment de la « qualité » des mots-clic (est-ce vraiment là tous des témoignages, ou y a-t-il des supports, des critiques, etc.?). Bref, la partie plus critique historique est intéressante, mais aurait bénéficiée de quelques éclaircissements et peut-être de meilleures analyses.
L’essai ne se concentre toutefois pas seulement là-dessus et tombe beaucoup plus dans le mémoire et le témoignage que dans l’essai érudit ou le travail d’archive. Dans un récit déchronologique qui invite souvent les répétitions dû à ce type de narration, la journaliste raconte son immense investissement en temps après la création du mot-clic, que ce soit dans les réponses aux commentaires, aux centaines d’entrevues auxquelles elle répondait (peu importe le pays), aux alliances avec les autres survivantes avec qui elles correspondaient, avec les personnes qu’elles tentaient de convaincre de l’importance du mouvement, parfois avec succès, parfois sans. Elle parle aussi de son métier et de sa vie, mais dans une plus moindre mesure, et surtout pour mentionner qu’avec tout le temps qu’elle mettait dans la cause, ses fins de mois étaient parfois difficiles (sans compter qu’elle payait plus souvent qu’autrement les avions afin de discuter du sujet en France ou aux États-Unis et que ses frais n’étaient donc pas défrayés, elle mettait du temps, souvent le soir, bénévole pour venir en aide aux victimes).
L’essai passe aussi beaucoup de temps à parler des autres acteurs et actrices (dans les deux sens du terme parfois) qui mettaient la main à la pâte pour fonder des associations, des regroupements, couvrir le sujet, venir en aide aux victimes, tenter de convaincre des personnes en pouvoir, ou encore déjouer des complots ourdis par des avocats qui tentaient de piéger des victimes d’agression! En lisant cet essai, j’ai certainement approfondis énormément mes connaissances concernant le vedettariat et qui étaient les victimes de certains agresseurs ou agresseuses. Muller semble déterminée à parler des hommes ET des femmes tout en reconnaissant que les femmes sont majoritairement victimes de ceux-ci; elle mentionne même avoir lancé le mot-clic #balancetaporcine, mais réalisa rapidement que ça ne porte pas les fruits escomptés.
Ceci étant résumé, on peut se demander alors pourquoi je ne suis pas capable d’aimer un essai qui semble balancé, intéressant et certainement pertinent dans le contexte actuel? Pour plusieurs raisons, mais la première est une impression de lecture qui peut paraître superficielle donc je l’aborde tout de suite pour mieux passer à la suite des choses.
Classe, lampshading et préjugés
Malgré de nombreux passages sur le relativement peu de moyens financiers que Muller possède, passages certainement surjoués par l’essayiste (quand tu peux te payer des billets d’avions et que ça fait juste en sorte que tes fins de mois sont difficiles, tu es définitivement très loin d’être pauvre), elle semble définitivement faire partie d’une espèce d’élite bourgeois et artistique hollywoodienne. En plus de pouvoir investir les espaces artistiques, les fêtes, et autres lieux du vedettariat, pas seulement en tant que journaliste, elle ne cesse de faire référence à certaines autres actrices et journalistes comme à ses ami·es et de proches connaissance. C’est certainement un peu frustrant de l’entendre se plaindre d’un manque de moyens pour voyager d’un pays à l’autre, mais ce n’est définitivement pas si problématique que ça (au pire, elle apparaît comme très élitiste ou inconsciente de ses privilèges). Les problèmes commencent à remonter quand elle témoigne de son agression verbale dans un party et de sa réaction face à celle-ci :
« Comment ose-t-il? Comment ose-t-il me parler ainsi, à moi qui ai repris un journal toute seule, […] qui dois diriger une équipe d’auteurs, un comptable, un webmanager, un community manager? À moi qui me lève à 7 heures le matin pour accompagner mes enfants à l’école et qui me couche parfois vers 3 heures du matin, épuisée de relire et corriger à l’envi un de mes articles litigieux par crainte d’un procès. [la liste continue] » (p.39). Évidemment, personne ne contrôle ses réactions face à une agression, aussi classiste soient-elles, et c’est définitivement très honnête et courageux de sa part de sa mettre à découvert comme ça. Cependant, tout l’argumentaire de pourquoi c’est scandaleux de recevoir de tels propos est basé sur le fait qu’elle n’est pas « inférieur » à son agresseur.
C’est là qu’entre en scène le lampshading, c’est-à-dire, une réponse à la critique avant même qu’elle ne se manifeste pour pouvoir s’innocenter de la critique. Par exemple, une personne qui voudrait insulter un groupe tout en se dédouanant parce qu’elle sait qu’elle va se le faire reprocher, elle pourrait dire par exemple : « Je ne suis pas raciste, mais [insérez le préjugé] », cela n’ôte pas du tout la charge raciste d’un propos, ça tente juste de le désamorcer en amont. C’est exactement ce que l’autrice va faire après avoir témoigné de sa réaction (je souligne) : « Non pas que son comportement serait plus supportable si j’étais chômeuse ou caissière, mais qu’il agisse ainsi avec une collaboratrice, dont il devrait pouvoir imaginer à la fois l’investissement professionnel et l’implication humaine dans son job me sidère […] » (p.40).
Encore une fois, il s’agit d’une impression de lecture, peut-être vague, probablement même très dure pour une agression dont elle ne peut pas mesurer la réaction, je le note toutefois parce qu’à plusieurs autres moments, elle utilisera le lampshading pour se prémunir d’attaques contre ses raccourcis argumentatifs et ses préjugés.
La propagande antiféministe de l’essai
Le gros de ma critique s’adresse toutefois à son rejet unilatérale du féminisme tout en, très paradoxalement, essayant de démontrer comment elle a réussi à elle seule à faire avancer la cause des femmes à pas de géante.
Tout d’abord, elle construit une caricature du féminisme tellement grossière, caricaturale et détachée de la réalité qu’on se demande comment son éditeur a laissé passer ça :
« j’ai toujours été contre la guerre des sexes. […] Je ne supporte pas plus qu’on m’affuble du terme de féministe, car pour moi il a participé à construire des armées de familles monoparentales comme la mienne » (p.46)
plus loin :
« Durant toute mon adolescence, ma mère m’a seriné : « Regarde où a conduit mai 1968. On doit se débrouiller seules, on est incapables d’avoir des salaires égaux à tâches égales, les hommes ne trouvent plus leur place à nos côtés et on les fait fuir. » » (p.46)
C’est tellement ridicule et grossier comme affirmation qu’on ne sait même pas par où commencer. Que le manque d’hommes dans sa vie dont elle se plaint (à plusieurs reprises) soit causé par le féminisme est non seulement mensonger, mais elle sert à bâtir une figure de bouc-émissaire. La journaliste n’explique évidemment jamais comment sa mère l’a eu comme enfant si les hommes la fuit et pourquoi elle n’a pas de père présentement, pas qu’elle a à l’expliquer, mais si sa mère était aussi antiféministe ou aussi anti-gauchiste que ça, on se demande vraiment ce qui aurait faire disparaître le père ou d’éventuels conjoints (ou comment se fait-il qu’il y a encore des mariages et des couples hétérosexuels, on se le demande). La journaliste décide donc de construire un féminisme bouc-émissaire de ce qui ne lui plaît pas dans sa vie. Peut-être y a-t-il une raison que l’on nous explique pas derrière, mais à quoi bon mettre de telles affirmations calomnieuses dans un essai si c’est pour simplement les lancer sans raison?
Son rapport avec le féminisme et la justification de la présence des hommes dans les luttes des femmes ne s’arrête pas là évidemment, elle prend souvent de très longs détours pour montrer comment certains hommes sont les meilleures personnes du monde quand vient le temps d’aider les victimes d’agressions sexuelles, des passages certainement plus longs que ceux consacrés aux femmes (dont elle n’hésite pas à soulever les problèmes à plusieurs reprises contrairement aux hommes), ou des passages certainement pas mérité comme celui réservé à Raphaël Enthoven dont elle se félicite de l’avoir convaincu de trouver la nécessité du mot-clic après des heures et des jours de conversation écrites et orales.
Son dédain du féminisme ne l’empêche toutefois pas de se revendiquer du mouvement et de s’en faire créatrice :
« Sept mois après avoir personnellement lancé un mouvement féministe, je trouve enfin un terme qui me convient. Je souhaite défendre toutes les victimes, sans notion de couleur ni de classe social » (p.88) écrit-elle après avoir résumé, très grossièrement et s’appropriant le Black Feminism comme une analyse intersectionnelle (ce qu’elle peut être, mais elle confond les deux termes) « créée par les femmes noires, pour faire face au racisme du féminisme blanc et au sexisme du mouvement noir. » (p.88).
Tout d’abord, il est bon de préciser que Muller n’est pas noire, se revendiquer du féminisme noir semble donc à priori aberrant. Imaginons toutefois qu’elle dit juste vouloir s’inspirer de ses théories alors, et de l’intersectionnalité puisqu’elle aurait simplement entendu le terme et n’aurait pas vraiment fait des recherches approfondies à ce sujet (ce qui est un problème en soi, mais passons). Même avec cet effort d’imagination, on voit très mal en quoi elle s’adresse au racisme des féministes blanches (nul part elle ne parle de racisme ou d’oppressions des femmes noires sinon une très brève mention de son support aux droits civils, sans exemple, à la page 46) et encore moins du sexisme du mouvement noir (aucune trace).
Intersectionnalité alors? Si on exclue son classisme flagrant, sa vie de bourgeoise, les seules personnes qu’elle évoque sont blanches, aucune lesbienne (à notre connaissance), à peine fait-elle mention de la fondatrice originelle de #metoo qui elle est noire (mouvement dont elle ne cesse d’ailleurs de minimiser l’importance, y privilégiant le sien comme véritable déclencheur international, ça et le #bebrave de sa « bonne amie »). L’intersectionnalité demanderait un travail sur les oppressions cumulées, une approche basée sur la reconnaissance du travail, de comment le harcèlement, la violence et les agressions affecte de manière disproportionnelle les femmes noires, racisées, handicapées, etc. l’importance du militantisme (et pas seulement de la théorie) et de l’impact sur les personnes les plus marginalisées, mais rien là-dessus non plus. Elle parle des grandes artistes et actrices qui en sont victimes, elle évoque que oui tout le monde peut utiliser le mot-clic et évoque, très très brièvement le procès de DSK, mais ça s’arrête là. On repassera donc pour l’intersectionnalité de l’approche. Nous n’aurons évidemment rien non plus sur le point de vue situé, le racisme, les structures pouvoir oppressantes, etc. chères au féminisme noir.
La seule véritable action concrète en faveur de toutes les femmes, mise à part le mot-clic, est vraiment l’aide à la mise sur pied d’une association de lutte contre le harcèlement et les agressions sexuelles qui donne des ressources contre ce phénomène, mais elle n’en parle pas tant et préfère parler de comment les milieux communautaires sont toxiques et se battent entres eux sans en évoquer des causes [manque de fonds donc elles sont obligés de compétitionner pour les obtenir] et privilégiant l’explication de son dédain pour les associations.
La dernière pièce de propagande contre le féminisme est l’utilisation de l’horrible tribune antiféministe, misogyne et manipulatrice publiée dans Le Monde en réaction à #metoo. L’essayiste s’en indigne à juste titre et passe plusieurs pages à démonter leur argumentaire et même à les accuser de chercher à se faire du capital politique et culturel sur le dos des agressions. On pourrait donc penser, « ah! Voilà une chose sur laquelle on est fondamentalement d’accord », et je le suis, mais elle associe directement cette tribune à des féministes (!) :
« Déjà pas disposée à l’utiliser, je rejetterai le terme « féminisme », en réaction à cette prose nauséabonde puisque le mot peut être associé à ces signataires. » (p.146). Tout ça parce que Catherine Deneuve avait signé le manifeste des 343 à l’époque et que dans la tête de l’essayiste, signer le manifeste contre l’avortement en 1971 = féminisme (ce qui est déjà une généralisation grossière, les signataires du manifeste avait justement évité un tel vocabulaire à l’époque par éviter l’amalgame) et que (nécessairement) féministe en 1971, Deneuve l’est encore aujourd’hui, et que par extension toutes les femmes ayant signé la tribune le sont.
C’est un mensonge digne d’un argumentaire de propagande tout simplement. C’est créer un épouvantail pour servir ses propres intérêts. C’est non seulement mensonger, et pour une fois que les féministes à travers le monde étaient d’accord sur une chose (que cette tribune n’avait pas sa raison d’être et était profondément contre les femmes), mais Muller vient tout de même forcer une connexion entre deux choses on ne peut plus à l’opposé de l’une et l’autre ensemble. Je ne croyais honnêtement pas ça possible (surtout que le passage est écrit après s’être revendiquée du Black Feminism…). C’est là que je pense que son autrice a définitivement une thèse à défendre : une qui la propulse en avant des autres tout en écrasant toutes les femmes, toutes les luttes qui l’ont précédée, pour privilégier son combat, son mot-clic, celui de ses ami·es et connaissances dont elle fait 100 fois l’éloge. Son aveuglement n’a de limite que l’arrogance avec laquelle elle se fait l’héroïne d’une lutte millénaire qui l’a précédée et l’a menée où elle est en ce moment. Je suis sincèrement dans l’incapacité de comprendre comment une personne qui parle d’agressions sexuelles, de harcèlements, de ressources, etc. soit incapable non seulement de reconnaître le travail des centres et refuges de femmes (qu’elle ne mentionne jamais), mais le combat qui se poursuit en amont, en aval et en parallèle à son travail. Plutôt que de s’inscrire dans une continuité, elle crée une coupure complètement imaginaire et une dissonance cognitive complète en effaçant les contributions des autres femmes pour la montrer comme presque la seule, elle et son réseau, qui peut accomplir un tel travail. Sa fondation d’une énième association de défense contre les agressions plutôt que de bonifier celles déjà existantes et qui accomplissent un travail déjà magistral avec peu de moyens en est un parfait exemple. Ce n’est d’ailleurs, peut-être pas, un hasard qu’elle ne détaillera jamais vraiment les actions que cette association entreprendra (juridique, financière, sensibilisation, etc.?) ni qui elle vise (elle mentionne elle-même la difficulté de savoir qui aider en premier).
Ces autres passages étranges
Il y a évidemment plein d’autres passages bizarres, comme celui, sorti vraiment de nul part, où elle mentionne que « La liberté d’expression est le fondement de notre société » (p.80) sans, on dirait, avoir conscience que c’est justement cette liberté d’expression dont se revendique les signataires de la tribune dans Le Monde ou encore les nombreux harceleurs. C’est juste laissé là comme une vérité universelle sans développement ni rien.
Un autre passage encore où elle parle de Cannes, Muller se plaint avec raison de l’absence de certaines personnes concernées dans les discussions durant le festival, de comment elle a peur que Cannes ne fasse que capitaliser sur le mouvement sans effectuer de geste concret, mais de conclure ainsi sa réflexion :
« Pourtant, si je jette un œil critique sur le Festival de Canne 2018, le bilan n’est finalement pas si négatif et la nouvelle équipe a bien travaillé : Pierre Lescure, son président, a tenté de départir Cannes de son image sulfureuse. » (p.206). Tout ça donc pour redorer son image? Qu’en est-il des réflexions de fonds, des changements de structure, des réels changements ou des projets de changement tout court?
Tout au long du texte, elle ne cesse pas non plus d’écrire « les hommes, les femmes, les trans » comme s’il s’agissait d’un troisième genre plutôt que de simplement les hommes ou les femmes et de préciser cis ou trans. Pas que la précision sur les personnes trans soient réellement effective puisqu’il s’agit d’une autre absence de l’essai, l’énumération est là simplement pour tenter de les inclure, complètement de travers, ce qui montre qu’elle ne sait pas vraiment de quoi elle parle encore une fois. C’est, très probablement, un ajout de dernière minute pour donner un vernis d’inclusion.
Brève conclusion
On pourrait malheureusement continuer longuement à soulever les aberrations de l’essai qui pourtant, à tellement d’égard est prometteur et pertinent, sans compter son aspect un peu archivistique sur la genèse du mot-clic! Je n’en tire malheureusement qu’un constat d’échec, non pas du mouvement, mais de l’auteure à pouvoir faire la part des choses, à réfléchir sur les enjeux de pouvoir qui la traverse, à effacer les luttes, à créer des épouvantails (et pas seulement des agresseurs), à s’enfoncer dans des stéréotypes sans fin (je n’ai même pas mentionné comment elle caricature les États-Unis et la France sans nuances au point où on croit lire les théories de déterminismes nationaux du 18ème siècle!) et à s’enfoncer dans une tour d’ivoire aux briques de vedettes et au ciment d’autocongratulations qui peuvent certainement être méritées, mais elle n’a pas fondé un mouvement, le mouvement le précède et l’accompagne, mais ça, elle n’a pas été capable de le réaliser.
Notes