Le modelage
« « Les cerveaux doivent correspondre aux besoins des entreprises ». Dieu sait si l’on m’a reproché cette affirmation ! Plusieurs y ont vu l’expression finie de l’inféodation de l’université au secteur privé et m’ont accusé d’être le chantre de la marchandisation du savoir. J’ai déjà eu l’occasion de m’expliquer ailleurs à ce sujet. 1»
En effet, dans une lettre au Devoir le 17 novembre 20112, Guy Breton répond aux auteurs, Éric Martin et Maxime Ouellet, en expliquant qu’aujourd’hui «Plus de 99 % de nos étudiants vont gagner leur vie à l’extérieur de l’université et donc, pour le plus grand nombre d’entre eux, en entreprise. […] En cela, je réitère que les cerveaux doivent répondre aux besoins des entreprises. Mais de la même manière, on aurait pu dire pour d’autres domaines d’études que les cerveaux doivent répondre aux besoins des patients ou aux besoins des enfants. »
Nous croyons que Breton a mal saisi les propos des auteurs. En effet, ceux-ci ne parlent pas de couper les ponts avec les entreprises, ni empêcher les universités d’être utiles (accusation que Breton semble sous-entendre), mais plutôt que ce genre de partenariat n’est pas profitable ni pour les universités, ni pour l’État autant au niveau de la production de savoir que du coût de telles activités.
Nous pensons aussi que de poursuivre le débat du coût n’est peut-être pas le meilleur pour comprendre à quel point l’expression « Les cerveaux doivent correspondre aux besoins des entreprises » (et sa réitération aussi) est horrifiante. Le but d’un cheminement universitaire n’a pas comme simple visée de répondre à un besoin extérieur (marché, patients, enfants), mais aussi de favoriser une réflexion critique, citoyenne et oui, après, cette dernière peut être utilisée pour aider les patients et enfants c’est génial (vraiment super génial même) ; le marché, on s’en reparlera… Toutefois, imposer la contrainte, le modelage des cerveaux empêche l’épanouissement de cet esprit critique. La contrainte, l’étau de la rentabilité ou de l’utilité s’oppose au développement d’une pensée plus large puisqu’elle se renferme dans sa seule quête de la résolution d’un problème et non du questionnement du problème lui-même. Il faut savoir poser le problème pour y résoudre, faire correspondre un cerveau à quoi que ce soit, en plus de le réduire à un simple outil qui règle un problème ponctuel et nier toute l’individualité de la personne derrière ne sert à rien.