L’allégorie :
J’assistais, il y a près d’un an, à une conférence sur la justice réparatrice où quelqu’un d’important dans le système éducatif du Nouveau-Brunswick (directeur d’un réseau d’école ou quelque chose comme ça) nous parlait du système de repas dans les écoles primaires.
Il expliquait qu’au début du programme des petits déjeunes gratuits au N-B, illes ne permettaient qu’aux étudiant·es dont les parents gagnaient moins que le salaire minimum d’accéder à ce programme. Illes ont vite réalisé que le système ne fonctionnait pas puisque beaucoup moins d’élèves que leurs statistiques des parents «moins fortunés» utilisaient le système de petit-déjeuner.
Plutôt que de se dire que les statistiques étaient erronées ou que c’était suffisant parce que les familles pauvres préféraient nourrir leurs enfants elles-même, illes se sont demandés s’illes pouvaient l’améliorer. En parlant aux parents et aux familles dans les écoles, illes ont réalisé rapidement que les enfants qui mangeaient à ces petits déjeuners pouvaient être stigmatisés, bien involontairement parfois, et que les parents de plusieurs de ces enfants voyaient ces déjeunes comme une humiliation et préféraient que leurs enfants n’y mangent pas.
Pour régler ce problème, illes ont donc repensé au complet le système de déjeuner. Plutôt que de se dire que les repas seraient réservés aux plus démunis, illes ont ouvert le programme à tout le monde en expliquant que des fois, les jeunes enfants n’avaient pas le temps de manger ou n’avait pas encore faim lorsqu’illes quittaient la maison et que donc, illes pouvaient se nourrir une fois arrivé·es à l’école.
Résultat, le programme connut un succès fou au point où les demandes de nourriture correspondaient enfin aux chiffres qu’illes avaient sur la pauvreté. Et ce, en ouvrant tout simplement le programme à tou·tes et en faisant confiance aux gens. En plus, maintenant, les élèves ne sont plus stigmatisés et peuvent prendre un déjeuner s’illes n’en ont pas eu le matin pour x ou y raison.
Cela m’amène à une réflexion plus large sur les services à la communauté. Même si on oublie la privatisation des services (qui est un énorme problème que j’aborderai peut-être ailleurs), le fait est que le gouvernement tend de plus en plus à culpabiliser les gens d’utiliser les services gouvernementaux. Peut-être bien involontairement (présumons de la bonne foi…).
Le problème est que beaucoup de gens ne peuvent pas se permettre de ne pas avoir ces services là.
Si on prend le problème de la santé et qu’on parle de mettre des tickets modérateurs dans les hôpitaux, la plupart des gens n’ont pas l’éducation nécessaire pour comprendre que ça ne touche pas leurs problèmes graves et vont hésiter avant d’aller à l’hôpital, parfois pour des choses excessivement importantes. Il y a assez de monde qui hésite à se faire soigner en ce moment dans un système public, je n’imagine pas les personnes qui se laisserait mourir dans un système payant parce qu’elles ont peur en plus de ne pas avoir les moyens (et elles existent!!).
Pour les repas, on est en train de pelleter encore une fois dans la cour des familles qui vont devoir se fendre en quatre pour trouver des repas (et rappelons que des repas pas chers ne sont pas nécessairement bons). À ce sujet, je vous laisse la lecture du poème de Gwendolyn MacEwen intitulé « The Transparent Womb » :
Here’s why I never had a child. Because down the lane behind the Morgentaler clinic the mother of a tribe of alley cats nudges towards me the one she knows will die after its first and last drink of warm water in the depths of winter, because the bag lady down the street (who was once a child) tells me she won’t go on welfare because that’s only for people who are really hard up, because I collect kids and cats and strangers (or they collect me), and at Halloween the poor kids come shelling out and one boy wears a garbage bag over his head with holes cut out for eyes and says does it matter what he’s supposed to be, and his sister wears the same oversize dress she wears every day because it’s already a funny, horrible costume, hem flopping around her ankles, the eternal hand-me-down haute mode of the poor, because
They wander into my house all the time asking « got any fruit? » because their parents spend their welfare cheques on beer and pork and beans and Kraft Dinner and more beer, they won’t eat vegetables with funny names like the Greeks and the Wops, so the kids are fat, poor fat, fat with starch and sugar, toy food, because
The kids in Belfast in that news photo were trying to pull a gun away from a British soldier in a terrible tug of war where nobody won, and
My foster kid in El Salvador is called Jesus.
Here’s why I never had a child : Because they’re so valuable I could never afford one, because I never thought I had to prove I could do it while they’re starving everywhere and floating in gutters and screaming with hunger. All this in our time. All the word’s children are ours, all of them are already mine.
MACEWEN, Gwendolyn. The Selected Gwendoly MacEwen. Exile Editions, 2007, pp.269-270.
Les gens qui effectuent les coupes sont des gens privilégiés à tous les égards et qui se lavent les mains des coupes en parlant de la nécessité de celles-ci. J’invite les gens à lire l’excellent ouvrage 11 brefs essais contre l’austérité qui montre très bien que celle-ci ne sont économiquement pas viables et que ce sont des coupes idéologiques nullement motivées par une nécessité, mais par une idéologie qui ne considère plus l’État comme nécessaire à fournir les services aux citoyens, ou à peine…
Les coupes ne sont pas essentielles et créent au contraire de nouveaux besoins (et des fois, les besoins n’étaient déjà pas comblés comme pour les personnes autochtones), culpabilisent les familles et souvent mènent les humains derrière les coupures à la perte d’emploi, à la pauvreté, à la dépression, au suicide, etc. Bref, l’austérité tue. De manière insidieuse ou pas.
Et là, en plus de s’attaquer à l’éducation dans une société où 53% des adultes sont analphabètes ou analphabètes fonctionnels, on s’attaque à la racine même des futur·es citoyen·nes en coupant leur éducation ET les filets sociaux qui leur permettent de s’élever (service de garderie, aide sociale, aide à la toxicomanie, aide aux devoirs, repas chauds à petit prix, aide pédagogique, aide psychologique, etc. etc. etc. etc.)
Évidemment, les gens instruits (mais surtout aisés) n’auront aucun problème, et encore…, à continuer de vivre, mais l’État est présentement en train de faillir à la tâche que l’État devrait avoir: celui d’assurer de tendre vers l’égalité de tous ses citoyen·nes en exacerbant les inégalités et handicaps sociaux et ce, dès l’enfance.