Rares sont les essais et mémoires, même avec plusieurs auteur·es qui m’ont autant donné de sentiments parfois complètement opposés. Ce livre propose le témoignage de 29 femmes d’origines assez différentes (reste qu’elles sont toutes blanches, je parle vraiment plus en terme de classe, d’opinions, de familles et de régions) liées par un événement: Mai 68. À travers les différents textes, nous voyons cependant plusieurs similarités: c’était presque toutes des femmes aux cycles supérieurs ou déjà professeures (je crois qu’il n’y a qu’une exception), qui en ont aussi toutes pas mal arrachées ou n’étaient pas écoutées parce qu’elles étaient des femmes, et évidemment toujours, au moment de Mai 68, dans et autour de Paris.
Après, le livre donne la parole à des personnes très très différentes et chacune n’hésite pas à déborder du témoignage pour livrer leur programme politique (souvent les femmes très conservatrices qui le font) parfois sur plusieurs pages avec des opinions pour le moins très surprenantes. Françoise Chandernagor en est probablement l’exemple le plus probant avec des énonciations de contradictions parfois complètement aberrantes. Je ne peux pas ne pas citer ce passage juste après la dénonciation d’absence dans les prix littéraires:
«Mais pour ma part, j’avais refusé il y a longtemps d’y [au prix Femina] siéger parce que je ne crois qu’à la mixité: j’avais dit à ces dames que j’irais chez elles lorsqu’il y aurait des hommes… Je n’aime pas plus les ambiances où il n’y a que des femmes que celles où il n’y a que des hommes: les couvents, les pensionnats de jeunes filles, et les casernes, c’est l’horreur! Les hommes sont des brutes, mais les femmes sont des chipies, et la mixité seule peut rendre les uns et les autres meilleurs…» (p.40) Le reste de son texte aussi est aussi très étrange.
Un des gros problèmes de l’ouvrage est l’aveuglement (à escient ou non; probablement pas de la part des éditrices toutefois) quant au fait qu’Antoinette Fouque aurait fondée à (presqu’)elle toute seule le MLF, une des conséquences de mai 68 (et probablement la plus mentionnée par les autrices et la plus positive à leurs avis). Le texte d’Antoinette Fouque (un collage de d’autres textes déjà publiés précédé d’une introduction de son collectif) tombe dans une espèce d’auto-hagiographie où elle est la quasi-unique responsable de la plus grande révolution de l’histoire humaine depuis l’invention de l’imprimerie (je n’exagère pas) en plus d’être mensonger quant à la soi-disante « création » du MLF (voir le dernier livre de Marie-Jo Bonnet Mon MLF ou encore l’histoire des éditions des femmes de Bibia Parvard dans Les éditions des femmes : Histoire des premières années 1972-1979, etc.)
La pluralité des discours face à mai 68 est cependant très intéressante et c’est ce qui fait la force (et c’est sincèrement un euphémisme) de l’ouvrage, on est loin du point de vue unique sur un événement et l’approche face à cette histoire est véritablement polysémique et permet vraiment de l’appréhender sous plusieurs angles. Les éditrices ont définitivement fait un travail admirable à cet égard. Même si je n’étais pas du tout d’accord avec la vision de plusieurs sur la politique en général, sur leur point de vue; au moins, j’ai pu les écouter et je suis certainement d’accord avec certains des points qu’elles évoquent et est très reconnaissant aussi de l’admission de certaines d’entre-elles à en voir les bienfaits et les méfaits même quand la prise de position semblait complètement polarisée.
Il est simplement dommage que certaines n’aient tout simplement pas été capable de comprendre qu’elles n’étaient pas réellement observatrices ou neutres dans un mouvement lorsqu’il s’est déroulé: «Mai 68, je l’ai vécu en spectatrice un peu comme une entomologiste regarde les insectes!» (p.169), mais bel et bien participante d’un mouvement, peut-être juste pas dans le « camp » qu’elle penserait être. « Je n’ai jamais aimé les « manifs ». Je ne suis pas de nature révoltée. J’aime la liberté, mais pour tout le monde!» (p.171) Catherine Salviat essaie de rapporter de manière neutre les événements et son opinion dessus alors qu’elle a été partie prenante de ces événements, ce n’est pas parce qu’elle n’a pas fait la grève qu’elle est neutre! Bien au contraire, ça reste une prise de position surtout lorsque tu forges ces événements!
Certains textes m’ont évidemment marqué·, bien que très peu au début de l’ouvrage au point où j’avais l’impression que j’allais en laisser tomber la lecture tellement je voyais un parti-pris très conservateur et pro-Fouque au début (qui s’est modifié par la suite). Une des surprises est probablement l’intérêt des lettres de refus de contribuer à l’ouvrages qui m’ont vraiment fasciné· et intéressé· de par leur réponse. Celui d’Annette Messager qui avoue humblement être « inutile dans [le] débat » explique qu’on l’a refusée aux Beaux-Arts pour faire des affiches (parce qu’il n’y avais pas de femmes) et qu’elle ne s’est donc pas impliquée plus par la suite (durant Mai 68) citant l’absence de la contribution, de l’apport et de la reconnaissance des femmes durant Mai 68, mais reconnaissant aussi l’impact important de cet événement. Ce témoignage trouve écho dans pas mal tous les textes cités qui parlaient souvent des barrières de l’époque (dont la hauteur variait selon l’auteure) qui tombaient ou au moins diminuaient (toujours selon l’auteure) dans les années suivant Mai 68 et certainement en conséquences de cet événement et de l’avènement du mouvement de libération des femmes en France.
Ce n’est pas une période sur laquelle j’ai beaucoup lu. Ce fut donc certainement très intéressant d’en apprendre énormément sur la période et le Paris auto-géré qu’il eu lieu un mois durant avec ses conflits, ses dialogues (qui émergeaient apparemment souvent en plein rue avec des gens qui ne se connaissaient pas!), de la multiplicité des points de vue, ses tours de garde, ses prises de conscience, ses contradictions parfois connues, parfois reproduites (et de l’importance des vélos à ce moment!!!!!!). Ainsi que de toute cette histoire importante et influente racontée par les personnes qui en ont été exclues (encore une fois, parfois sciemment) alors qu’elles l’ont très certainement bâtie et maintenant, elle la raconte.