La place des femmes dans la Pléiade

La base de données que j’ai montée pour effectuer cette recherche est disponible pour consultation, vérification, diffusion, reproduction et pour d’autres recherches si vous voulez (mais merci de me citer comme auteur·).

Nous sommes loin de la parité, il est vrai ; mais force est de constater que l’histoire littéraire elle-même s’écrit au masculin jusqu’au milieu du XXe siècle ; et il n’est pas à la portée de la collection, si bienveillante soit-elle, de la corriger.
La Pléiade, 28 avril 2014.

Voici comment une nouvelle sur le site Internet de la Pléiade nous explique (ou mecsplique) l’absence des femmes dans la collection et tente de se justifier d’en avoir publiées qu’une dizaine depuis sa fondation. Notre but ici n’est pas de proposer des femmes que la Pléiade pourrait ajouter à son corpus (plein d’autres initiatives le font déjà, les exemples affluent), mais plutôt de démontrer, chiffres à l’appui que la Pléiade ne fait aucun effort tangible pour les inclure, et ce, même dans les dernières années.

Pour ce faire, nous avons recensé tous les ouvrages de la collection et séparés ceux-ci selon le nombre d’auteur·es soit un·e ou plusieurs auteur·es (deux auteur·es dans un même ouvrage conduisent à le mettre dans les collectifs, ex: Plaute, Térence). Puis nous avons redivisé les ouvrages selon le sexe de l’auteur·e ou mis anonyme s’il y a un doute sur l’identité de l’auteur·e. Pour les collectifs, nous avons aussi ajouté une catégorie « mixte » où on met un livre qui compte au moins une femme (même si il y a 20 H et 1 F, ça reste un ouvrage mixte). Nous avons aussi répertorié trois zones temporelles de publication (avant 2000, entre 2000 et 2009, 2010 et plus) pour connaître l’évolution de la publication des femmes dans la Pléiade. Ces choix sont totalement arbitraires mais permettent de savoir si, après les années 2000, il y a eu une évolution dans la publication des auteures femmes.

Voici donc les résultats pour les ouvrages individuels:
9 femmes sont publiées dans la collection: Marguerite Yourcenar, Virginia Woolf, Madame de Sévigné, Nathalie Sarraute, George Sand, Madame de Lafayette, Marguerite Duras, Colette et Jane Austen.
Sur 214 auteur·es (199 H, 9 F, 6 A).
Bref, 4,2% des auteur·es publié·es sont des femmes.

Ce chiffre diminue lorsqu’on regarde le nombre d’ouvrage total publié.
Sur 546 livres, 21 le sont par des femmes (soit 3,8%).

Pléiade graphiques

Répartition selon le sexe des auteur·es et du nombre d’ouvrages publiés

Y a-t-il une amélioration depuis l’an 2000?
Avant l’an 2000, 2,8% des ouvrages étaient par des femmes. Entre 2000 et 2009 inclus, 3,1% le sont. À partir de 2010, on tombe à 11,5% ce qui reste vraiment minuscule.

Au niveau des auteures publiées: <2000: 4 femmes ; 2000-2010[: 2 femmes ; 2010-aujourd’hui: 3 femmes. Bref, malgré un plus grand nombre d’ouvrages de femmes publiés, on n’édite pas vraiment plus d’auteures (mais il reste encore 4 ans pour augmenter ce chiffre et donner une meilleure idée comparative).

Les collectifs sont à peine plus réjouissants:
Sur 53 collectifs, 28 (plus de la moitié!) sont uniquement des collectifs d’hommes. 1 seul est un collectif de femmes (les sœurs Brontë), 14 d’entres-eux sont des collectifs mixtes (avec au moins une femme) et nous n’avons pas pu savoir pour 10 d’entres-eux.
Bref, alors que 52,8% des collectifs sont uniquement composés d’auteurs, seul 1,9% sont composées d’auteures et 45,2% pourraient inclure au moins une femme (26,4% certains, le reste, je crains fort qu’il ne le soit pas).

La répartition au niveau des années n’est pas tellement meilleure, le collectif de femmes est publié en 2008. Et pour ceux publiés après 2010 (il y en a 4), 2 sont uniquement masculin, 2 mixtes (qui, vérification faite, ont chacun une femme seulement).

Méthodologie et informations supplémentaires:
– J’ai construit la base de données en utilisant les données disponible sur le site web de la Pléiade en faisant des recherches par auteur·e.
– Pour chaque ouvrage collectif, j’ai cherché chaque auteur·e individuellement pour savoir si c’était une femme ou un homme. Au moindre doute, je le mettais dans la catégorie indéterminé. Notez que je me fiais à la figure de l’auteur·e tel qu’elle ou il se présente. Si, par exemple, Louise Labé était un homme, je ne la mettrais pas dans la catégorie homme, mais dans celle des femmes. La seule exception à cette règle est George Sand que j’ai classé dans les femmes.
– Il est à noter que les collectifs mixtes sont des collectifs dont AU MOINS une auteure est une femme. Plusieurs comptent des dizaines d’hommes et une femme, ils sont quand même dans les collectifs mixtes. (Exemple) Pourquoi? Afin de montrer que même en ayant au moins une femme dans les mixte les résultats finaux des collectifs dépeignaient une triste réalité, mais plus positive que si j’avais comptabilisé individuellement chaque auteur·e des collectifs. C’est une manière pour moi de donner le bénéfice du doute à la collection qui encouragerait la lecture de femmes de la sorte (bien que je n’en crois rien personnellement, mais ça, c’est une opinion et non un fait).
– Si il existe une nouvelle édition, l’ancienne ne compte pas dans le calcul des ouvrages publiés de l’auteur·e. Ceci dit, une seule femme fut rééditée (il s’agit de trois ouvrages des correspondances de Madame de Sévigné). Effectuer un tel calcul a pour conséquence d’augmenter la présence des hommes dans le nombre d’ouvrages publiés. Je ne l’ai pas fait puisque je crois que des rééditions sont régulièrement nécessaires et que la présence tardive des femmes dans la collection (la première en 1970 avec George Sand) fait en sorte que la collection n’a pas eu l’occasion de pouvoir rééditer celles-ci.
– Cette recherche fut effectuée sans financement de la part d’organisme et de manière bénévole. Les données sont disponibles à la consultation, vérification, diffusion, reproduction et pour d’autres recherches. Ce serait cool de citer convenablement cette recherche pour les trois derniers points.

Les commentaires et suggestions, de même que toute erreur rapportée sont appréciés. L’article peut donc changer en conséquence de rétroaction (j’aurais oublié une femme dans un collectif, quelqu’un me précise le sexe des auteur·es dans les collectifs indéterminés, etc.). Prière donc de jeter un coup d’œil à la date de la dernière mise à jour si vous constatez des différences de lecture. Une réédition de cet article devrait avoir lieu en 2020 (puis 2030, etc.) afin d’avoir une meilleure idée comparative des périodes.

Dernière mise à jour: 5 septembre 2015.

2 réflexions sur “La place des femmes dans la Pléiade

  1. Merci pour ce recensement – vous avait fait du beau travail! Je venais juste de me poser la question: combien de femmes est-ce qu’il y a dans la Pléiade? J’avais envie de lire quelque chose par Georges Sand, quelque chose que de moins connu, et je me suis dite, je la trouverai dans un volume de Pléiade et j’étais étonnée de n’en trouver point. Bien qu’elle soit entrée dans la fameuse collection, ce n’est qu’avec les écrits autobiographiques, qui ont alors sans doute un intérêt « historique ». Une autre statistique à relever serait peut-être la proportion des oeuvres de femmes publiées en Pléiade par rapport à leur production littéraire totale: bien que la Pléiade est considérée comme le domaine des « oeuvres complètes », ceci serait-il moins vrai pour les femmes?

    • Je note votre très bonne suggestion pour le prochain recensement. Je vois cependant déjà venir quelques problèmes: les œuvres de Duras, Sévigné et de Colette semblent être complètes (donc le 1/3!), celles de Woolf et Austen ne contiennent que leurs œuvres romanesques (et donc pas Une chambre à soi!!), d’autres ne peuvent pas vraiment être complètes (la correspondance de Madame de Sévigné) et finalement Sarraute était complète à l’époque de sa parution, mais d’autres ouvrages de l’auteure ont été publié depuis. Il me faudrait donc tenir compte de quatre facteurs: le temps de publication par rapport à la vie de l’auteur·e, le type de recueil (complet ou par genre), œuvres vraiment complètes? (vérifier tous les titres de l’auteur·e un par un) et la possibilité réelle d’une ‘oeuvre complète’ (Sévigné). Faire ce travail pour 200 auteur·es (soyons honnêtes, surtout des auteurs) que je ne connais pas nécessairement est assez ambitieux, mais je ne le rejette pas d’office [4% du travail est déjà fait dans ce simple commentaire].

      Petite anecdote: j’ai effectué le recensement pour une raison très similaire à la vôtre: je voulais lire plusieurs ouvrages de Simone de Beauvoir, mais je me suis vite aperçu· qu’elle n’y était pas présente. Pour George Sand, je recommande cependant fortement la lecture des Lettres d’un voyageur (dans le vol. II) qui sont vraiment très intéressantes. Un hiver à Majorque m’a cependant vraiment découragé (c’est excessivement raciste), je déconseille.

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