Mes coups de cœur lus en 2020

Un aperçu de mes livres préférés lus en 2020. Il ne s’agit pas uniquement d’ouvrages publiés cette année là (je mets toutefois la date de publication à droite du titre), mais des ouvrages que j’ai lu cette année là. Un lien vers la boutique en ligne de l’Euguélionne, librairie féministe est disponible pour les ouvrages (ou vers l’éditeur lorsque pas distribué). Les livres sont présentés par genre (Essais, Romans, SFF, Drames audio, BDs et mangas), mais pas dans un ordre quelconque.

Essais

Partition pour femmes et orchestre ; Ethel Stark et la Symphonie féminine de Montréal (2017) par Maria Noriega Rachwal

Une fantastique biographie d’Ethel Stark qui s’intéresse surtout à la période de la fondation et la durée de la Symphonie féminine de Montréal.

Encore une fois, il s’agit d’une histoire des femmes qu’on ne nous raconte pas et qui devrait être absolument relaté à tou·tes!!! Un orchestre d’une 80aine de femmes dans les années ’40, du jamais vu en Amérique du Nord, une première chef d’orchestre, le premier orchestre canadien à jouer au Carnegie Hall, la première personne noire à jouer de manière permanente dans un orchestre, des expériences de musiciennes devenues professionnelles suite à l’entrée dans l’orchestre (alors que plusieurs n’avait pas nécessairement jouer de leur instrument avant), des critiques dans les médias unanimes qui célèbrent la qualité du jeu, etc. Un orchestre qui représentait ce que le Canada avait de mieux à offrir en terme de diversité, d’apprentissage, de leçon, de sagesse, de succès et de féministe (sans l’être ouvertement)!

Chaque page m’apprenait énormément, je devais noter le nom des interprètes pour pouvoir les chercher par la suite! C’est un essai beaucoup moins académique que ce qu’on a l’habitude de lire chez Remue-ménage (normal, il s’agit d’une traduction) et la narration s’approche beaucoup plus d’un récit épique par moment ou d’essais comme Le féminisme québécois raconté à Camille pour sa vulgarisation et son désir d’en faire connaître un maximum à son lectorat. On prend souvent des pauses d’Ethel Stark pour parler d’autres musiciennes comme Violet Louise Grant, Lyse Vézina, Violet Archer, etc.

Le récit de la symphonie féminine de Montréal se termine un peu tristement, délaissé complètement par les subventionnaires qui l’abandonne un par un, la ville de Montréal ou la province du Québec, vivant de mécènes donnant absolument tout pour qu’elles survivent, un cas classique de ces institutions qui voyaient cet orchestre une sorte de menace pour eux (ou de la concurrence, ce qu’elles n’étaient pas du tout, en fait fois le peu de représentations qu’elles donnaient et le public qu’elles visaient), ne le supportant que par parole et non pas monétairement malgré la réputation internationale de l’orchestre.

À lire pour tout fan de musique classique féministe, un pan de l’histoirE qu’il faut absolument remettre de l’avant!!

Mes bien chères sœurs (2019) par Chloé Delaume

Un livre d’une puissance rarement égalée, une dénonciation forte, colossale et mordante du patriarcat, un jeu d’intertexte féministe presque sans fin (tout particulièrement adoré celui avec le King Kong Théorie « j’écris de chez les », une réappropriation des textes masculins canoniques en les subvertissant sans retenu (la réécriture p.18 du Nuit Rhénane de Guillaume Apollinaire est un chef d’oeuvre en soi! « Tout l’or des coups de reins devient le chant d’un batelier, au creux des tables de nuit, le tiroir aux petites morts »).

À la fois poétique, essayistique, fictionnalisation de la pire dystopie imaginable pour les personnes friandes du bon vieux temps de la culture du viol ; un hommage aux plus jeunes générations, à cette quatrième vague de l’Internet à la parole et à l’écrit qui ne peut être réduit au silence malgré l’acharnement d’un backlash qui voit sa fin arriver.

Un ouvrage comme il est difficile d’en écrire et qui fonce droit vers ce qu’il a à dire avec une pluralité de style d’écriture, de figures de style et de force. J’ai eu l’impression de revivre les premières page de King Kong pendant toute ma lecture et de hurler ces mots dans le métro tellement ils sont beaux, énergiques et fermes. Un vrai cri du cœur.

You Look Like a Thing and I Love You: How Artificial Intelligence Works and Why It’s Making the World a Weirder Place (2019) par Janelle Shane

Hilarant, fascinant et éducatif. J’adore le blog de l’autrice, j’ai donc été super ravi· de pouvoir lire un livre entier sur le sujet et je n’ai pas été déçu une seule seconde! D’abord, bien que certaines très rares parties (surtout deux, trois listes) de ses listes se retrouvent dans l’essai, c’est vraiment majoritairement du nouveau contenu donc pas de risque de s’ennuyer ou de juste y retrouver un recyclage des billets avec un intro et conclusion voili-voilou, non, nous avons vraiment affaire à des descriptions détaillées de comment l’IA fonctionne, comment elle appréhende le monde (virtuel) dans laquelle elle évolue, ses très très nombreuses limitations et défauts, etc.

Il y a un grand nombre de sujets traités, des biais de l’IA reprises de contenu soumis (ou de sa programmation) qui perpétue des pratiques racistes ou sexistes (de ne pas faire fonctionner un distributeur à savon pour les peaux noires à la discrimination à l’embauche selon le genre ou la situation géographique). On y explique aussi comment l’IA ne dominera jamais le monde et ne remplacera jamais efficacement le travail humain ou si rarement et nécessite toujours une supervision humaine importante. On y détaille aussi comme l’IA pour les automobiles, ce n’est vraiment pas pour demain et sont plutôt dangereuse (même avec un·e conducteur·e au volant puisque cette personne risque souvent d’être inattentive).

L’essai est aussi très très très drôle. Pas un chapitre ne passe sans rire aux différentes listes que les IA produisent ou les solutions très originales qu’elles trouvent pour surmonter un problème. Dans l’ouvrage, l’autrice parle de ses propres expériences, mais aussi de celles de beaucoup d’autre

Si vous voulez lire un essai de vulgarisation scientifique qui combine un aspect éducatif avec le comique de vidéos de machines qui effectuent des tâches étranges, ce livre est pour vous.

Invisible Women: Data Bias in a World Designed for Men (2019) par Caroline Criado Pérez

Un essai féministe qui couvre très large, du déneigement aux élections américaines en passant par le Brexit, la représentation de l’univers, les foyers de cuisson, le syndrome de Yentl ou encore les crimes de guerre.

Un foisonnement de données (ou une analyse de leur manque flagrant en ce qui concerne les femmes et les conséquences mortelles que cela peut avoir), d’interprétation, de sources et d’information. Elle analyse de nombreux domaines, aussi différent que l’astronomie, l’urbanisme, la médecine, l’économie, l’architecture, l’agriculture, la politique, etc. à travers le prisme de la collecte et l’interprétation des données et statistiques.

Caroline Criado-Pérez démontre avec brio comment le manque de collecte de données réparties selon les genres conduits à l’invisibilisation des femmes pas seulement en théorie, mais comment ces negligence peuvent conduire jusqu’à la mort ou à tout le moins désavantage les femmes toujours aux profits des hommes.

Un essai qui montre comment nous devrions repenser les statistiques et la collecte de données de manière urgente à tous les niveaux ou à tout le moins, commencer à en tenir encore plus, mais de plus rigoureuse.

Le concept de couverture est aussi vraiment génial. Je n’avais jamais remarqué les pictogrammes de femmes du livre avant d’en débuter la lecture (et il était bien visible et en présentation dans la librairie donc je le voyais quand même souvent). Clairement une des meilleurs couvertures que j’ai pu admirer.

Piano Music by Black Women Composers: A Catalog of Solo and Ensemble Works (1992) par Helen Walker-Hill

Alors, pour lire cet essai, il faut au moins se préparer plusieurs choses très importantes: prendre beaucoup de note, avoir une connexion Internet pour pouvoir écouter les compositions référencées dans l’essai et avoir une carte de crédit dans la main pour commander des biographies et des partitions des compositrices présentées. Ce n’est pas une blague du tout, après avoir lu l’essai, j’ai commandé trois essais et deux partitions fautes de n’avoir pas pu en commander plus!!! (j’y reviens)

Une superbe recension qui ne se contente pas de recenser des oeuvres pour piano de compositrices noires américaines (une tâche effectuée en 1992, pas une mince affaire du tout!!), d’écrire une petite biographie pour une cinquantaine de compositrices, non, la recherchiste a aussi fait un travail immense de:
– Indiquer la difficulté des pièces (vraiment génial pour les personnes qui seraient intéressées à les jouer)
– Décrire le style des pièces, en donner une appréciation générale
– Où pouvoir lire, se procurer ou pouvoir acheter les dites pièces (avec les adresses postales et le temps que ça peut prendre avant de les recevoir!!)
– Mettre une petite bibliographie lorsque possible

Cet immense travail est vraiment incroyable en soi, doublement incroyable quand on sait le temps que ça a du prendre pour juste compiler ces noms, biographies, témoignages, rechercher toutes ces compositions avant parce que personne n’avait vraiment fait cette recension aussi exhaustive avant (on peut tout de même mentionner But Some of Us Are Brave: All the Women Are White, All the Blacks Are Men: Black Women’s Studies, mais qui est beaucoup moins détaillé).

Cette recension est aussi très intéressante à l’effet qu’elle nous montre montre bien comment les compositrices noires ne pas isolées les unes des autres et savent s’inscrire en continuité avec les précédentes ou leurs contemporaines, notamment par les concerts qu’elles organisent, mais aussi les compositions, styles, ou hommages qu’elles rendent. Pour des biographies d’une demi-page à une page, c’est quand même beaucoup d’information qui est communiquée.

J’ai trouvé aussi intéressant de noter que plusieurs compositrices noires furent des élèves de Nadia Boulanger (au moins dès 1931 avec Nora Douglas Holt) ce qui nuance pas mal ce que l’article dans Nadia Boulanger and Her World disait sur son rapport avec les communautés afro-américaines par rapport aux étudiant·es internationaux (surtout les hommes étaient dépeints dans le livre). On note quand même 5 compositrices afro-américaines (sur une cinquantaine de compositrices ) qui ont étudié sous son égide y compris une gagnante du grand prix Boulanger quelque part entre 1951 et 1954.)

La seule immense déception ne vient pas de l’essai, mais des recherches que je faisais tout en lisant l’anthologie. Beaucoup des artistes n’avaient pas une seule composition sur Internet (des fois, avec juste 5 résultats sur Google et simplement dans des listes), et on parle de grande compositrice comme Avril Gwendolyn Coleridge-Taylor dont je n’ai réussi à retrouver aucune partition et une seule vidéo de 5 minutes alors qu’elle a immensément composer et qu’elle était la fille d’un très grand compositeur (Samuel Coleridge-Taylor) qui, lui, ne manque pas d’être partout! Je lisais et je cherchais des biographies ou des partitions et je dois avouer avoir noté beaucoup trop de noms de compositrices dont je ne pourrais pas en apprendre ou en écouter davantage. 28 ans plus tard, même avec l’arrivé d’Internet et de WorldCat, ce n’est pas nécessairement plus simple de les découvrir malgré leurs immenses réalisations, mais c’est malheureusement trop souvent le cas encore dans l’histoire des femmes. C’est pour ça qu’on ne peut qu’essayer de pousser ce genre d’essai, qu’on aimerait beaucoup dire qu’il date, mais qui n’ont finalement jamais accumulé un gramme de poussière tant ils sont encore pertinents aujourd’hui et dont le travail n’a pas été continué depuis [je note tout de même que j’ai fait des recherches de base sur la question, peut-être existe-t-il des sites web et des livres consacrés à la question, mais je ne les trouve pas super facilement].

She Called Me Woman (2018, Collectif)

Une montagne russe d’émotions en lisant ce livre de témoignages de femmes nigérianes queer.
[Par queer, l’ouvrage entend la diversité des expériences des femmes qui en aiment d’autres, des lesbiennes aux genderfuck, en passant par les femmes queer, trans, butch, femme, tomboy, bisexuelles, etc.]

On a vraiment des témoignages de toutes sortes: des témoignages émouvants, qui donnent de l’espoir, heureux, qui finissent bien, mais aussi des témoignages tragiques, de violences (toutes les violences), d’abus, de peurs, de placards, etc. Dans ce qui est considéré comme un des pires pays en ce qui a trait aux droits LGBPT2QIA (notamment avec la loi qui prévoit une dizaine d’années de prison pour les homosexuel·les, sans compter les nombreux meurtres), ces témoignages offrent un portrait qui sort des statistiques nationales pour parler du quotidien des femmes qui le vivent, parfois très mal, mais souvent avec un grand bonheur d’aimer d’autres femmes.

Les témoignages sont des transcriptions orales anonymes. On sent parfois les questions qui sont posées par les éditrices une fois qu’on a lu une dizaine d’entrevue (genre: famille, religion, quand les premières fois, parcours, maintenant), mais le récit reste toujours très fluide à l’exception de deux, trois témoignages qui sont un peu plus fragmentés.

Je dois avouer que laisser la parole à celles qui le vivent dépoussière pas mal de préjugés que je pouvais avoir sur les droits des personnes LGBPT2QIA au Nigéria, souvent résultant de la propagande politique ou journalistique du pays ou encore d’organisations qui ne semblent pas toujours connaître la réalité du terrain. On y découvre des communautés queer vivantes, surtout dans certaines villes et certaines universités, mais aussi beaucoup de réseaux d’ami·es et l’importance des réseaux sociaux.
Tous les témoignages semblent, lorsqu’elles croient en un Dieu ou une religion, ne faire aucun cas du rapport conflictuel qui pourrait y émerger entre la religion et l’homosexualité, souvent dans une perspective où: Dieu m’a créé ainsi pour une raison et je n’ai pas à me renier ; ou encore: seul Dieu me jugera (toi aussi tu pêches, moi aussi je pêche, mais ce n’est pas à toi de porter jugement).

On parle évidemment aussi beaucoup de la famille, qui renie ou qui accepte, qui peut être de la pire violence à un refuge pour ces femmes. On parle aussi de mariage, pour passer inaperçu, pour ne pas risquer le rejet social, qui empêche des relations ou qui ne durent souvent jamais longtemps . On parle aussi énormément de violences, des avertissements sont placés en début de presque chaque témoignage puisqu’elles sont réelles et très difficiles à lire. La seule parole qui semble échapper au recueil serait celles de femmes prisonnières, mais on comprend aussi pourquoi c’est un peu impossible de les écouter.

Je pense que ce livre devrait être dans les témoignages importants à lire, pour toute personne qui désire lutter pour les droits qui ont trait à l’orientation sexuelle ou à l’identité de genre, pour toutes les personnes qui voudrait parler des réalités LGBTQ* du Nigéria. Après avoir lu Under the Udala Trees l’année dernière (le roman est d’ailleurs cité par une des femmes témoignant), je ne peux que réaliser encore plus la force de ce roman, son réalisme, son analyse tellement fine des réalités nigérianes avec ses religions toujours en conflit (musulmans et catholiques) et ses peuples aussi (Igbo, Hausa, Fulani, Yoruba surtout).

Un livre extrêmement touchant, brutal, choquant, qui fait autant pleurer de tristesse que de joie.

Femmes et littérature. Une histoire culturelle, tome 1 (2020, Collectif)

Aucun parcours de baccalauréat en littératures de langue française ne devrait pouvoir être complet sans avoir lu cette essai qui trace l’histoire et les fil(l)iations des littératures des femmes françaises. Il n’y avait aucun essai paru, à ma connaissance, aussi magistral et exhaustif que Histoire du féminisme français. Du moyen age a nos jours de Maïté Albistur et Daniel Armogathe (1977) et Femmes et littérature parvient à effectuer ce travail immense de présentation, de vulgarisation, d’explication, d’exposition de réseaux, de statistiques, de découverte (pour le lectorat), etc. avec toutes les avancées et découvertes effectuées depuis presque 50 ans maintenant.

Super complet et intéressant, un essai qui ne donne envie que d’en lire encore davantage (je dois avoir commandé une dizaine de livres suite à cette lecture et j’en aurais probablement noté davantage si je n’avais pas déjà suivi de nombreux cours consacrées aux femmes au Moyen-Âge et à la Renaissance).

Sinister Wisdom 118 ; 45 Years Tribute to the Lesbian Herstory Archives (2019, Collectif)

Une anthologie de court textes rendant admiration au centre d’archives lesbienne Lesbian Herstory Archives (LHA) de différentes manières: certains textes abordent leur première découverte du lieu, d’autres sur comment il a changé leurs vies, comment elles se sont impliquées à travers ce projet, des échanges de correspondance sur la LHA et même quelques poèmes dans l’anthologie!!

Ces textes traversent plusieurs générations et lesbiennes toutes très différentes et comment le projet d’archive les a traversées à différents moments de leur vie, quelles sont les découvertes qui y ont été faites (en terme d’archives, de textes, d’histoirE, de personnes ou même d’amours!) et c’est vraiment émouvant de lire ces textes et l’impact immense que ce centre a eu dans la vie de tant de personnes.

Les textes présentent aussi, souvent à travers leurs fondatrices, un peu la mission de la LHA, ses objectifs, ses ressources, ses personnalités, son influence et évidemment sa nécessité.

Une manière vraiment très belle et unique de découvrir ces archives à travers les personnes qui ont vécues ces transformations et ses évolutions de très près et qui ont contribué à les bâtir au court de ces 45 ans. Un must pour tous les fans d’archives et les membres des divers communautés LGBPT2QIA. 

Fictions et romans

Ru (2009) par Kim Thúy

J’ai pris le livre en me disant que je n’aimerais pas nécessairement: l’écriture en fragments ne m’a jamais interpellé et la déchronologie et le genre auto-fictionnel du récit allait simplement m’achever (en plus, je viens juste d’écouter un livre audio qui a ces mêmes ressorts). J’en sors toutefois à l’opposé de mon horizon d’attente et j’y ai trouvé un merveilleux récit avec des figures de styles fortes et percutantes, empli d’une grande compassion et d’une immense bonté dans son regard sur le monde malgré les horreurs qu’elle aura vues et subites (elle a quitté à 10 ans le Vietnam communiste avant d’atterrir au Québec.

Je crois, vu les grands écarts entre la réaction de lecture que j’ai pu constater et qui m’a certainement fait hésiter avant de lire du Kim Thúy, que c’est parce que ce récit est fondamentalement un texte qui sollicite beaucoup l’émotion pour sa lecture malgré un style omniprésent qui demande constamment des arrêts de lecture pour s’attarder à la force des images évoquées ; bref, la lecture demande quand même beaucoup à la fois.

Même si je ne suis pas une personne friande des récits familiaux, je suis vraiment tombé sous le charme de l’écriture de Thúy et vais clairement continuer à la lire.

Bonus de lecture: c’est vraiment le type de livre ID-É-AL pour le métro.

Drames audio

Torchwood: Fall to Earth (2015) par James Goss

Un épisode en huis clos tout simplement incroyable et époustouflante. À la fin de l’écoute, on est littéralement en pleure tellement les deux acteurs sont investis et la tension narrative est immense. Alors que Ianto est pris dans une navette à la dérive, son seul lien, et espoir, est une téléphoniste, Zeynep, qui tente de lui vendre des assurances et cette communication par téléphone est un moteur narratif immense et qui est utilisé à son plein potentiel, des mises en attentes à la confusion de ne pas se voir en personne, la narration et l’utilisation de ce motif est brillant.

Alternant entre l’humour et le drame, les revirements de situation (qui est le ou la protagoniste en danger notamment), cet épisode nous attrape émotivement et il est impossible de détourner l’oreille. La fin est tout simplement superbe.

Définitivement un des meilleurs audio de Big Finish Productions. Je vais clairement essayer de le ré-écouter dans quelques années (et ce n’est pas dans mes habitudes de relire ou réécouter!).

Torchwood: Torchwood_cascade_CDRIP.tor (2017) par Scott Handcock

Les drames audio Torchwood de Big Finish sont vraiment à leur meilleur lorsqu’il y a une tentative d’expérimentation sur la forme et le fond (avec un métadiscours, c’est la cerise sur le gâteau), Torchwood: Fall to Earth vient en tête avec l’utilisation de l’appel téléphone pour créer un huit-clos entre deux personnes, à distance, qui se communiquent de l’information.

Avec torchwood_cascade_CDRIP.tor on utilise le médium d’un fichier corrompu pour véhiculer une histoire ; histoire elle-même fragmentée (légèrement, on n’a pas affaire à une histoire complètement dé-chronologisée) et corrompue. Le travail d’ingénérie du son exploite toutes les ressources à sa portée: ralentissement, saccade, répétition, augmentation/diminution du volume, bruits perçants, prolepse/analepse, jeu sur les nuances, etc. Il y a a souvent des jeux sur la musique d’introduction et de conclusion dans cette série (TRÈS apprécié), les effets sonores n’y échappent pas ici, mais je trouve qui il y a une reconfiguration musicale très réussie et intéressante à entendre. Les effets ont aussi été très bien incorporé au point où bien que je savais que l’épisode jouais sur ces éléments, je ne pouvais m’empêcher d’angoisser à l’idée que c’était mon lecteur DC qui me jouait des tours (et il le fait parfois et étonnamment, il ne semble pas avoir planté avec cette lecture!).

L’histoire arrive à passer d’un impression de métadiscours (« stop listening ») à l’intégration de celui-ci dans la trame narrative (les bouts sur le piratage sont particulièrement amusant quand on a les deux discours en tête!) L’épisode est vraiment aussi très talentueux puisque les avertissements qui veulent nous empêcher de l’écouter ne fait que renforcer notre volonté de l’entendre. [Parmi d’autres commentaires méta-narratif, on a à la toute fin un MAGNIFIQUE glissement vers le « coming soon » auquel je ne m’attendais pas et qui m’a vraiment ravi.]

Sinon, au niveau de l’histoire en temps que telle, elle était définitivement bien racontée, superbement inscrite à au moins deux niveaux de chronologie de Torchwood (et de manière intelligente et qui font du sens pour l’intrigue et le canon en général). Le changement de la relation d’affection qu’a habituellement Toshiko entre elle et Stephen (souligné dans les commentaires de fin) était quand même très crédible et c’était super d’enfin entre Toshiko être dans cette autre position (autrement que dans l’épisode Adam qui ne faisait qu’une inversion de rôle au final).

Bref, un épisode très agréable à entendre (certains commentaires sur des sites de critique disent que les effets sonores sont gênants, je suis au contraire ravi· qu’ils le soient, qu’ils nous gênent et nous donnent de l’inconforts, un demi-effet ou une impression de… n’aurait pas donné un résultat aussi vivant), très riche au niveau de l’histoire et de son inscription et dont le potentiel de réécoute est quand même aussi assez grand.

Science-fiction et Fantasy

Maplecroft (2014) par Cherie Priest

De l’horreur cosmique comme on en voit rarement et avec une grande attention portée aux types de narration et d’explications des phénomènes.

Les récits des différents protagonistes sont tous portés par un genre différent: épistolaire, journal, narration à la première personne, rapport, article de journal… (parfois, plus d’un genre est utilisé) ce qui amène des voix uniques aux personnages et aux récits et des points de vue perpendiculaires sur certains événements. Combiné à l’horreur, ces genres permettent de mettre en valeur certaines explications plutôt que d’autres: amour, science, mythe, etc. pour expliquer les phénomènes autour de la ville de Fall River.

Cette hésitation sur la nature exacte des phénomènes (magiques, scientifiques, mythiques, une créature toute-puissante, des mutations, l’évolution, la possession, etc. ou même des mélanges de ceux-ci) rendait ce roman tout particulièrement vis à vis des genre de l’horreur et du fantastique de par les interrogations constantes sur la nature des phénomènes qui entoure les sœurs Borden et dont chaque protagoniste a ses pistes privilégiées. Cette absence totale d’explication est certainement une indication qui laisse à son lectorat la porte complètement ouverte à une ou des interprétations des éléments du récit.

Finalement, si je n’avais pas fait une petite recherche sur Internet après ma lecture, je n’aurais jamais découvert qu’il s’agit d’un roman inspiré de faits réels autour de la personne de Lizzie Borden, une américaine soupçonnée, mais acquittée, d’avoir tué ses parents à la hache. Il est intéressant de voir que certaines des interprétations des causes derrière la possibilité des meurtres était l’hypothèse de la découverte d’une relation lesbienne par ses parents (conservée dans le roman). Une autre hypothèse émise était un abus physique et/ou sexuel de son père qui, bien que pas émis dans ces termes dans Maplecroft, est tout de même abordé de front sous un angle légèrement différent en gardant en tête l’idée d’horreur cosmique du roman.

Bref, un roman intéressant à lire sous beaucoup de prisme, la découverte de l’inspiration d’un fait réel n’était que la cerise sur le gâteau! Le deuxième volume, Chapelwood, est aussi intéressant et aborde un renversement de l’horreur cosmique du côté des nationalistes blancs, des fascistes et des racistes alors que ses origines lovecraftiennes avaient plutôt tendances à être justement à l’opposé de ce récit (lié à une soi-disant dégénérescence raciale plutôt qu’à la pureté dogmatique et la recherche de la perfection comme dans ce roman).

The Future of Another Timeline (2019) par Annalee Newitz

Un livre de SF fascinant, combatif, plein d’idées intéressantes, qui ne prend pas les solutions faciles aux problèmes pour résoudre ses intrigues, plein de questionnements sur les mouvements sociaux et ce qui crée le changement dans le monde. Ça fait 4 ans que je planifiais d’écrire un livre sur des féministes qui voyagent dans le temps pour empêcher des masculinistes qui veulent ré-écrire l’histoire, je n’ai plus à le faire maintenant vu que ça été fait ici et 1 000 fois mieux que je l’aurais jamais fait avec un méchant central parfait pour le récit.

La recherche historique est fantastique et supporte le reste de l’intrigue avec des bases extrêmement solides, réalistes et qui permet à la fois des découvertes historiques, mais aussi de créer une narration impeccable et fascinante. Un roman rempli de bonnes idées partout, à chaque tour et détour, un triomphe sur le méchant principal tourné sur le ridicule qui donne lieu à une scène in-croyable, des enjeux personnels attachants et tragiques, des figures historiques oubliées mises de l’avant, des personnages queer à travers l’histoire, etc.

The Hole in the Moon and Other Tales by Margaret St. Clair (2019 bien que les nouvelles datent du milieu du XXème siècle) par Margaret St. Clair

Une autrice vraiment remarquable dont j’apprécie maintenant les nouvelles après avoir adoré le roman Sign of the Labrys. Ces nouvelles sont toutes très différentes, mais s’inscrivant définitivement dans un certain genre de « weird », de fantastique et de science-fiction en traitant de différents sujets de manière assez novatrice pour le genre et l’époque, notamment toutes ses questions autour de la sexualité, des droits des femmes, de l’intelligence, de cruauté envers les enfants, etc.

Son approche littéraire face à l’écriture des nouvelles est aussi remarquable: un récit à la deuxième personne, des constructions d’univers entiers en quelques pages qui nous présente toute une fiction en seulement une dizaine de page, un riche vocabulaire, des méta-réflexions, etc. Certes, j’ai deviné la fin de certaines nouvelles avant d’en arriver au bout (certaines idées sont quand même prévisibles), mais le voyage pour y arriver ne gâche pas du tout le récit puisqu’il y a plein d’autres éléments intéressants à regarder.

Avec ce recueil, Margaret St. Clair se catapulte définitivement dans mes autrices préférées, c’est exactement le genre de nouvelles que j’aime lire, une grande écriture et des récits weird à souhaits, c’est une tragédie de ne pas avoir plus accès que ça à ses écrits aujourd’hui (il semble avoir une autre anthologie de nouvelles que je vais me procurer, mais à part ce recueil et le Sign of the Labrys, ça semble être vraiment tout), ni qu’elle soit plus connue que ça aujourd’hui. J’imagine que c’est quelque chose qui devra changer dans les prochaines années!

Bandes dessinées et mangas

Les enquêtes de Sgoubidou (2020) par Cathon

Meilleure BD comique de l’année. De très très loin. C’est hilarant d’un bout à l’autre. Je ne peux honnêtement pas en demander plus à la littérature, mais j’en veux encore plus, toujours plus, toujours toujours toujours plus.

C’est vraiment un bijou unique.

La décalogie Descending Stories: Showa Genroku Rakugo Shinju (2010-2016) par Haruko Kumota

Une série vraiment exceptionnelle de manga qui travers près de 4 générations de conteurs de Rakugo dans un long récit tournant surtout autour de Bon (c’est tout de même avec son enfance qu’on débute et sa mort qu’on finit), mais donc chaque génération avant et après est observée avec une immense rigueur et dont on finit toujours par s’attacher.

Dès le premier volume, je suis déjà fasciné· par ce manga dont j’ai vu l’adaptation en anime avant de les lire et je n’ai pas cessé d’admirer la narration et les mises en scène et en abîme. Le manga a aussi l’énorme mérite de permettre une beaucoup plus grande compréhension des termes du rakugo, plusieurs choses semblaient m’avoir complètement échappé dans l’adaptation animée.

Les dessins des protagonistes en train de jouer sont vraiment sublime et le style de l’autrice réussit vraiment à montrer cette incarnation de personnage, tout en gardant l’essence des traits physiques des protagonistes. Superbes idées de mise en scène et de dessin.

La richesse des personnages vient entre-autre de leur complexité, ni bon, ni mauvais, parfois horrible, c’est notamment le cas du personnage principal qui oscille grandement dans ses attitudes et est souvent capable de cruauté autant que Miyokichi et comment ses comportements sont légués à Konatsu par ses parents biologiques et adoptifs et desquels elle (ainsi que Bon) ne se sauveront que grâce à l’amour et l’affection de Yotaro qui s’immiscera dans leurs vies.

J’apprécie beaucoup, à cet égard, le développement du personne de Konatsu où le fait d’être née femme et la restriction à l’accès au rakugo est montré d’emblée comme un problème (contrairement à l’adaptation), un obstacle, une frustration, un enjeu de discrimination, un enjeu narratif ainsi que la solution pour la vengeance envers Yakumo qu’elle prépare, mais une vengeance au final impossible.

Si ce n’était seulement que de la complexité des personnages et de leurs arcs de vie, ce serait déjà vraiment fascinant, mais il y a toute une présentation incroyable des traditions du Rakugo, art dont je ne connaissais vraiment avant de découvrir la série et par lequel je suis maintenant fasciné (même si je ne pourrais jamais en apprécier une performance ne comprenant pas le japonais). Il y a des très nombreux détails, des présentations de différentes traditions, les stratégies d’adaptation à travers les époques, les ressorts utilisés, etc. Les dessins et les polices de caractère unique rend presque vivant cette tradition orale dans un médium dessiné et écrit!! C’est définitivement une exploration à faire et qui n’est vraiment pas académique ou carré, elle s’inscrit fluidement à travers le récit général (et on a des appendices dessinés à la fin de chaque volume qui peuvent enrichir encore plus au besoin).

C’est aussi un récit définitivement féministe à sa manière. Tout le parcours que Konatsu aura à faire durant sa vie pour pouvoir performer le rakugo est un combat qui lui aura pris toute sa vie. Du refus de l’institution, au refus de maître à la prendre comme apprentie, à ses propres barrières qu’elle a intégré de la société, l’absence de corpus de rakugo pour les femmes, des immenses attentes qu’elle place sur elle-même et des attentes sociales. Il lui aura fallu une vie complète (et un allié incroyable) pour passer par dessus toutes ces réticences et barrières!

C’est un récit qui parle de changement, parfois de seconde chance, qui sans minimiser les actes passés commis, propose des pistes de solutions, d’améliorations, de nouvelles voies possible. C’est le cas pour Yotaro, Bon et Miyokichi qui voient tous les trois avoir une sorte de rédemption à différents moments de leur vie (ou de leur mort dépendant…). La réalisation de Miyokichi lorsqu’elle s’explique est particulièrement frappante et touchante, le dessin est juste parfait à ce moment: une femme aux cheveux noirs qui est présentée devant un décor blanc, le dessin où elle commence « I wish I’d been kinder… To you too, to everyone. » voit le décor arrière complètement noir et ses cheveux devenir blanc comme une inversion de couleur le temps d’une case (avant de revenir aux couleurs habituelles), mais dont la coloration des cheveux indiquent clairement aussi la sagesse acquise depuis. Cette demi-page à elle seul est magistrale et m’a complètement subjugué de par sa justesse dans son élaboration et son style.

On pourrait écrire plusieurs essais complets je crois sur cette série, elle est incroyable, super bien dessinée, remplis de joie, de rires et de tristesse. On suit des personnages complexes, qui grandissent, qui échouent, qui triomphent, qui changent aussi, souvent pour le mieux. C’est une « comédie humaine » de quatre générations de conteurs et conteuses en manga qui est à la fois une célébration de l’art du rakugo, de ses traditions, mais aussi de ses adaptations et des personnes qui le portent jusqu’à aujourd’hui. Une des meilleurs série que j’ai lu dans ma vie.

Wonder Woman: The Once and Future Story (1998) par Trina Robbins et Colleen Doran [ouvrage épuisé]

The Once and Future Story est ce qu’un comic de super-héro·ïne devrait aspirer à être. Raconté sous la forme de deux récits parallèles qui informent la narration de l’autre récit (le récit primaire par l’autrice Trina Robbins, le récit « secondaire » par Wonder Woman), la narration aborde les thèmes de la violence envers les femmes et celle dite « domestique » et d’esclavage sexuel depuis l’antiquité à aujourd’hui à l’aide de deux récits tragiques qui tentent d’expliquer pourquoi certaines femmes restent avec leur abuseur. C’est définitivement un récit dur sur le moral (surtout à lire depuis une semaine au Québec) et qui vient chercher les émotions de son lectorat.

Le récit primaire explore une découverte de tablette archéologique par une équipe en Irlande et l’arrivée de Wonder Woman chargée de traduire celle-ci du grec ancien. Le récit s’étire sur plusieurs jours et pendant ce temps, la super-héroïne remarque la violence infligée sur une des archéologues par son mari et se retrouve impuissante à agir à la demande de la femme battue de ne pas intervenir ce que la protagoniste n’arrive pas à comprendre.

Le second récit imagine une Alcippé (ce n’est pas clair exactement laquelle dans la mythologie grecque, mais le flou est assez intentionnel je pense) provenant d’une société matriarcale (différente de Themyscira) forcée de se marier à Thésée suite à sa défaite. Sa fille, Artémis d’Éphèse tente de se porter à son secours pour la délivrer de ce mariage forcé et de la violence qu’elle subit aux mains de Thésée.

Les deux récits mettront en scène des femmes qui restent avec leur mari plus ou moins malgré elle. Je pense que la quatrième de couverture explicite beaucoup mieux le problème au centre des narrations: « There are so many reasons why women stay in abusive relationships. Maybe she feels sorry for him, or thinks she can help him. Or maybe he really has her convinced it’s all her fault! ».

L’édition est complète avec une liste de ressources contre les violences à la fin. C’est vraiment juste désespérant de trouver une telle BD épuisée de nos jours alors qu’elle devrait clairement être parmi les classiques du genre et constamment ré-imprimée surtout avec une autrice connue comme Trina Robbins.

Un des meilleurs comic de super-héro·ïne que j’ai eu l’occasion de lire, de loin. L’échange entre les trames narratives, la mythologie, la narration, les thèmes abordés, tout est réussi.