À la découverte de la peintre Oei Hokusai

C’est à la suite de l’écoute d’un podcast que j’ai découvert cette fantastique peintre japonaise. Dans ce billet, je propose deux oeuvres pour la découvrir soit un film d’animation et un roman.

Oei Hokusai est avant tout connue pour être la fille du peintre Katsushika Hokusai (ou plus simplement Hokusai, notoirement connu pour avoir peint La Grande Vague de Kanagawa) avant de l’être pour son propre travail. Malheureusement devrait-on dire puisque son travail artistique est aussi époustouflant, sinon plus, que celui de son père et elle a même peint une bonne partie des oeuvres signées du « maître ». Son travail, comme sa vie, est toutefois inséparable de celui de son père, autant de par le travail et la démarche artistique que par la passion pour la peinture, le partage de la maison et des commandes ainsi que leur réaction devant la censure (bien que les deux pouvaient réagir assez différemment face à celle-ci).

L'affiche dépeint le visage d'Oei Hokusai en avant plan et en arrière plan la peinture La grande Vague d'Hokanawa, une montagne japonaise et un lit de fleur en bas

Affiche française du film Miss Hokusai

Le film, Miss Hokusai, est une adaptation du manga historique du même nom de Hinako Sugiura (dont la traduction en français devrait paraître en mars, aucune traduction en anglais n’est prévue pour le moment toutefois). L’animation dépeint quelques semaines de la vie d’Oei Hokusai, dans la relation avec son père, la relation avec les autres apprentis (dont un qui lui mecsplique comment dessiner un dragon, mais dont elle a rien à faire de son explication et attend juste qu’il ait fini avant de pouvoir continuer à dessiner), avec des courtisanes, mais aussi avec sa famille élargie dont une nièce aveugle. Évidemment, on voit aussi la relation quasi-fusionnelle qu’elle a avec la peinture et l’importance que cette dernière a dans sa vie.

Miss Hokusai est une animation magnifique au niveau des images, pas seulement de par les allusions aux peintures ici et là, mais aussi de par toute la représentation de l’invisible (important pour les peintres Hokusai), et de ce qui est vu dans l’absence de vision (littérale ou métaphorique). Plusieurs scènes à la forme onirique balance le quotidien de la peintre et lui donne une importance tout aussi important qu’aux interactions « réelle ».

Le propos est aussi définitivement engagé au niveau social et culturel et la relation avec son père et le restant de sa famille, très certainement complexe, est très joliment exploré. On passe le temps nécessaire à parler du père qui fut définitivement important à plusieurs égards dans la vie d’Oei, mais on ne s’éternise pas non plus et les scènes avec le père permettent certainement de réfléchir sur Oei et pas juste d’être là pour parler de Katsushika Hokusai.

Le roman The Ghost Brush, lui, est une fiction historique sur la peintre par l’écrivaine canadienne Katherine Govier.

Couverture du livre The Ghost Brush de Katherine Govier

Ce livre est une fiction, c’est important de le souligner, il extrapole, imagine des tonnes de dialogues, de situations, de personnages, bien qu’il est définitivement ancrée dans une réalité dépeinte au possible, que ce soit les peintures qu’Oei peignait à la place de son père, la maladie, l’immense intérêt que portait l’occident au travail d’Hokusai qui les mettaient dans une dangereuse position sociale, etc.

L’autrice imagine aussi une Oei très féministe à plusieurs égards, non seulement quand aux réactions au milieu dans lequel elle évolue, mais aussi quand elle confronte les occidentaux sur leur conception de la femme alors qu’elle discute de Shakespeare avec eux et qu’elle s’imaginait que ce dernier avait une fille qui l’aidait dans l’écriture de ses pièces. Cette idée provoque l’hilarité chez les occidentaux et ils ridiculisent l’idée qu’une femme eut pu écrire aux côtés ou même avec Shakespeare, sans jamais réaliser le travail d’Oei dans les toiles signées Hokusai. (Cette discussion est clairement inspirée par la proposition de la sœur de Shakespeare de Virginia Woolf). Autre aspect très intéressant est l’exploration des bordels par Oei qui apparaît non seulement normal, mais dont les travailleuses vont faire intégralement parti de la vie et de l’oeuvre des artistes père et filles. Je crois que ce thème d’une jeune fille qui accompagne son père dans de tels lieux (pour peindre) est définitivement soit inexistant ou alors très très peu discuté et la, relative, banalité avec laquelle la fille en bas âge lors des premières visites est certainement intéressante en soi.

Évidemment, Govier aborde d’autres aspects dont la place des femmes à l’ère Edo, la jalousie/envie/incompréhension du reste de la famille quand au métier d’Oei, sa propre mise en danger à être artiste en tant que femmes, son refus de la domesticité, etc. Une de plus belle illustration de ces descriptions se déroule alors qu’Oei se fait demander d’accompagner un amateur d’art européen à sa résidence temporaire au risque d’être perçue comme une traître par sa communauté. L’artiste doit alors déployer toutes les méthodes de politesse japonaise qu’elle connait pour refuser (mon père est celui qui fait le « vrai » travail, est-ce que ma présence est bien nécessaire, etc.) sans afficher clairement son refus; le tout en ayant aussi un débat intérieur à savoir si elle veut elle-même y aller (est-ce que la reconnaissance internationale l’intéresse vraiment ou son art n’est-il pas plus important, les deux sont-ils mutuellement exclusifs?, etc.).

Il y a quelques longueurs, je ne le nierais pas, ça m’a certainement pris plus longtemps que d’habitude à lire, mais dans son ensemble, c’est un livre fascinant qu’il était souvent dur de poser et on a tellement l’impression de rentrer un monde, tout aussi fictif soit-il, fascinant, mais historique et philosophique à sa propre manière.

L’ajout d’une postface qui parle de la découverte de Oei Hokusai par l’autrice et l’état de la recherche et de l’authentification des toiles d’Hokusai à l’époque (un peu moins d’une dizaine d’année) apporte un éclairage très intéressant sur la fiction, les théories de l’autrice, ce qu’elle a essayé de mettre en scène, mais aussi la nécessité de s’interroger sur les oeuvres des grands maîtres ce que, pour certains, semblent s’aveugler à ne pas ôter à Hokusai (père) pour ne pas « ôter de la valeur » à certaines oeuvre. À lire avant ou après, les deux éclaireront l’oeuvre différemment.

Couverture française du manga à paraître en mars 2019

Oei Hokusai est définitivement une artiste à découvrir et à séparer de l’oeuvre de son père (bien que cette séparation est très complexe, et sera aussi définitivement artificielle que la fusion, à plusieurs niveau) pour pouvoir la célébrer à juste titre. Sa contribution à l’histoire de l’art international est définitivement invisibilisée par celle de son père alors que les deux devraient nourrir les oeuvres de l’une et l’autre.

Critique du film La Bolduc (2018): Féministe ou branding féministe?

Je dois avouer ne jamais regarder de film dans un cinéma depuis plusieurs années. Les films ne m’intéressent généralement pas. Des exceptions ont été faites pour les films Star Wars (jusqu’au 7ème seulement) et pour Black Panther il y a deux semaines, mais aujourd’hui, le jour de sa sortie, je suis allé· voir La Bolduc, intrigué· par ce film qui tente, selon sa bande-annonce, de tracer des liens entre la chanteuse Mary Travers (interprétée brillamment par Debbie Lynch-White qui joue et chante magnifiquement bien) et Thérèse Casgrain (jouée par Mylène Mackay).

Je ne connais pas l’histoire de Mary Travers autrement qu’à travers une biographie pour la jeunesse que j’ai lu d’elle aux éditions de l’Isatis (j’en fait une mini-critique ici) qui elle aussi tente dans un chapitre, tant bien que mal, de tracer un lien entre le féminisme et Mary Travers à travers l’analyse d’un paragraphe d’une de ses chansons; analyse intéressante, mais une seule occurrence d’un thème féministe n’est pas suffisante pour extrapoler un féminisme sur l’ensemble de son œuvre. Ce n’est cependant pas pour dire que le parcours de Travers fut exempté d’obstacles dressés par la société patriarcale, bien au contraire, et cela, le film et le livre les soulignent à de nombreuses reprises. Il est à noter que je ne désignerais pas Mary Travers sous le nom de la Bolduc: non seulement elle ne s’en accommodait pas, mais en plus, c’est le nom de son mari, on l’appelait Madame Édouard Bolduc, surnom qui survit malheureusement encore aujourd’hui.

Mary Travers accusait certainement beaucoup de la mentalité conservatrice de l’époque et on l’observe dans ses réflexions sur le fait de devenir une chanteuse dans l’espace publique et que le fait que gagner plus d’argent que son mari est certainement facilitée par le fait qu’il est malade et incapable de subvenir aux besoins de sa famille. Elle doit toutefois souffrir des conséquences de ce (non-)choix (le regard et la violence de son mari qui, lui, ne le supporte pas et se réfugie dans l’alcool). Le film, seulement au début toutefois, insiste aussi beaucoup sur la violence du clergé à travers deux scènes : l’une où le prêtre sermonne la chanteuse de jouer au lieu de s’occuper de ses enfants, juste avant de se faire offrir une partie des recettes de la soirée; l’autre lors d’une soirée dansante où un jeune vicaire ouvre la soirée avec un discours sur l’importance d’avoir le plus d’enfants possible pour aussi longtemps que les femmes seront capables d’en enfanter.

Passé outre le clergé, le drame patriarcal se situe surtout au sein de la famille avec le mari, qui partenaire musical de Mary Travers au début, devient peu à peu celui qui décide et contrôle ce qu’elle, et ses enfants, doivent faire; sans grand succès souvent, mais jamais sans conséquences. Une des scènes montre la chanteuse, d’abord obligée de passer par son mari afin de récolter les recettes de ses records (et se dernier se servir allégrement dans celles-ci pour la boisson), ruser en lui faisant signer un contrat lui autorisant à gérer elle-même ses revenus de ventes, ruse qu’il découvrira plus tard et ne digérera pas. C’est plusieurs scènes comme ça, parsemées à travers le film, qui veulent dénoncer la condition des femmes et réussissent plutôt bien à montrer comment l’absence d’autonomie se manifeste dans le quotidien des femmes.

Il y a aussi ces trois scènes avec Mary Travers et Thérèse Casgrain pour le moins étranges. Évidemment, jamais elles ne se croisent, ni ne se voient. La première scène, elle manque de peu Casgrain qui venait distribuer des dépliants pour une réunion à une amie de Travers. Dans la deuxième scène, la fille (Denise Bolduc) de Mary Travers assiste à une réunion de suffragette (tenue par Casgrain) juste avant que sa mère ne vienne la sortir de là horrifiée à l’idée qu’elle ait compris les propos de l’oratrice. Dans la dernière, la chanteuse, très proche de mourir, voit à travers une vitre les suffragettes manifester leur victoire de l’obtention du droit de vote au Québec (avec en tête toujours Thérèse Casgrain). Une autre scène doit aussi être nommée: celle où Denise Bolduc sort d’un studio d’enregistrement et croise Thérèse Casgrain (qui était bien connue pour souvent prendre le micro en faveur des droits des femmes et qui aura même eu une émission radio intitulée «Féminia»!) qui tient à lui faire le message que sa mère en fait autant qu’elle, à sa manière, pour les droits des femmes et qu’elle l’admire immensément (paroles que sa fille répétera à sa mère incrédule, on la comprend, un peu avant sa mort). Je regrette de ne pas me souvenir des mots exacts, mais ces mots semblaient aussi forcés que les autres scènes. On aura voulu plaquer un message explicitement féministe au film qui arrivait très bien autrement à dénoncer les conditions des femmes et ça tombe un peu à plat (N’empêche, ça me fait regretter qu’il n’existe pas un super film sur le droit de vote des femmes au Québec avec un all-star cast de féministes dans les rôles de Casgrain, Circé-Côté, Idola Saint-Jean, etc. puis une suite au film avec Mary Two-Axe Earley, mais on rêve là…).

Une note importante sur une des techniques employée par le film pour faire ressortir ses idées comme ses tragédies, c’est de toujours fonctionner par un contraste accentué. Les parties dramatiques du film sont toujours précédées de scènes humoristiques ou joyeuses pour que l’effet soit encore plus prenant (une fête de Noël, une victoire des suffragettes, un show, un nouvel emploi, etc.).

Le contraste aussi entre la mère Mary et la fille Denise (contraste générationnel) sert aussi à soulever les aspirations que l’on croit cachée dans la mère qui sert un discours moraliste et chrétien à sa fille chaque fois qu’elle aspire à mieux. Sa présence comme pianiste dans les enregistrements de disques de sa mère, son accompagnement dans l’écriture des chansons, ainsi que la poursuite de la carrière artistique de sa fille permet de vraiment la présenter dans la continuité de la chanteuse qui aurait prit une voix résolument plus engagée, féministe ou contemporaine malgré les obstacles qui se dressent toujours sur son chemin et permet de réfléchir plus profondément sur les choix pris par la mère.

Les discours féministes ou à teneur féministe sont évidemment toujours contrebalancé par une réalité patriarcale qui empêchent leur exécution, mais de moins en moins au fur et à mesure du film et c’est le contraire qui finit par se produire.

Finalement, les classes sociales sont aussi marquées fortement, au début du film par le choix d’époux, un notaire, d’une amie de Mary qui deviendra suffragette alors qu’elle-même vit dans la misère et les chemins différents qu’elles emprunteront, ainsi que leurs habits très contrastés. Plus tard, c’est Mary Travers qui incarne cet écart de richesse alors qu’elle voit son quartier sombrer dans la faillite à travers la vitrine d’une voiture alors qu’elle-même est parée de superbes habits de scène. Cette scène du vêtement se poursuit jusqu’au rangement de ses habits distingués alors qu’elle ressort sa robe de mariage qui reflétait sa condition beaucoup plus modeste.

Une deuxième technique employée par le film est évidemment celle du choix de chanson pour accompagner le film qui, fortement facilitée par l’aspect auto-biographique de l’écriture de celles-ci par la chanteuse, permettent d’accompagner le film et d’explorer la condition de travailleuse et de pauvreté dans laquelle la famille Travers-Bolduc évolue. Une des richesses du film est d’en avoir choisie plusieurs et de ne pas simplement en montrer des extraits, mais vraiment de les laisser jouer au complet.

Le visionnement de la Bolduc est intéressant : nous avons le droit à une forte critique de la pauvreté, du clergé (uniquement au début du film cependant) et du patriarcat à travers un jeu de contraste et d’un choix musical qui accompagne le film. Les scènes avec Thérèse Casgrain sont cependant surprenantes et, à part marquer le conservatisme concernant les droits des femmes à travers les idées de Mary Travers, ne servent en rien au film et manque définitivement des subtilités qui sont pourtant bien saupoudrées ailleurs. J’en viens personnellement à croire que c’était pour élargir le public cible du film malgré un échec probable à ce niveau : j’étais la personne la plus jeune, d’assez loin, dans l’amphithéâtre où jouait le film et la salle ne réagissait pas aux scènes explicitement féministes comme elle réagissait aux chansons et aux épreuves de Mary Travers. L’insistance du film à toujours nommer Thérèse Casgrain et son importance chaque fois qu’elle apparaissait, comme si on ne s’en souvenait pas!, était aussi pour le moins malaisante. C’est cependant probablement les seules miettes féministes de films historiques québécois qu’on aura pour plusieurs années encore. Nous devrons donc nous en contenter encore une fois.

Conseil de lecture supplémentaire pour approfondir la question:
Châtelaine.  » La Bolduc et Thérèse Casgrain, même combat? Pas sûr… » de Josée Boileau, 9 avril 2018. En ligne.

Printemps durable par le collectif UniversiTV

L’assemblée générale
Le film débute avec une métaphore de l’assemblée générale étudiante. On demande le silence et on rappelle les procédures de l’AG bien que la plupart des spectateurs les connaissent déjà de la grève (un fait soulignés par l’interlocuteur). Puis on enchaîne en fondu audio avec un rappel de l’avant-grève et on affiche des manifestations comme des opinions en ordre chronologique depuis la rumeur d’une augmentation des frais de scolarité en 2011 jusqu’en février 2012.

Il y a alors une question : veut-on ouvrir ou non l’assemblée? Entendre plutôt: veut-on ou non participer au film? Les participant·es à l’assemblée sont invité·es à voter et, après le vote, l’ordre du jour est accepté.
Pendant que la bande audio du décompte de vote se poursuit, le texte suivant nous apparaît pour combler le vide :

«Le film s’essaie à refléter les événements forts ayant eu lieu lors du mouvement étudiant de 2012 à travers les caméras d’Universitv.
Nous comprendrons alors pourquoi ceux-ci sont plus axés sur la ville de Montréal et sur l’UdeM.»

et juste après :

«Ce film n’est que la moitié de la refléxion [sic],
l’autre moitié vous appartient»

La métaphore de l’assemblée n’est pas innocente lorsque mise en lien avec ce texte: on veut nous présenter des faits, des images, un «reflet» du mouvement étudiant à travers une certaine perspective (illes n’ignorent pas leurs limitations), mais ces images sont appelées à être décryptées par le spectateur. Bref, on participe à l’assemblée comme au film en apportant notre propre réflexion sur le sujet. L’analyse ne s’arrête pas là pourtant. «L’autre moitié vous appartient» n’est pas seulement un désir d’apporter notre contribution à la réflexion, mais de prendre en compte que notre pensée participe à celle du film. En effet, comme l’assemblée le souligne, nous avons déjà vécu cette grève, nous avons apporté notre bagage à la réflexion et aux images qui défilent. Le film englobe l’auditoire non seulement comme un spectateur ou une spectatrice, mais comme un·e participant·e à celui-ci.

Printemps durable
Avant de poursuivre, quelques notes sur le titre du film. De prime abord, on comprend le terme de printemps. La longueur de la #ggi (jusqu’à l’automne) peut expliquer son adjectif, en plus de toute la partie de l’héritage du printemps qui dure au moins jusqu’à la création du film. Il y a cependant un élément qui nous titille, c’est probablement l’analogie avec le développement durable qui ne tiendra pas du tout la route dans ce film. Oui, on parle un peu du problème autochtone, du manifeste de la CLASSE et d’énergies fossiles en plus des images de l’affrontement au Palais des Congrès en lien avec le plan Nord, mais ce n’est qu’anecdotique. En vérité, ce film se concentre vraiment sur des épisodes relatifs à la hausse des frais (quel qu’ils soient) et nullement sur ce qui l’entoure, c’est à dire les réflexions féministes, écologistes, queer, etc. -. Le choix des images semble alors être guidé par la similitude et la rime avec «Printemps érable», mais sans justificatifs autres que sa durée et son legs.

C’est après le pacte de visionnage qu’on nous présente finalement les images de la grève. On débute avec celles d’un rassemblement devant les bureaux de la ministre de l’éducation (à l’époque Line Beauchamp). Intervient là comme seule mélodie par dessus les paroles des participant·es un joueur d’harmonica. L’insistance de la caméra à prendre le visage du jeune musicien ne peut qu’évoquer Francis Grenier qui aura perdu l’usage de son œil durant la grève. C’est là un exemple parfait de ce que le spectateur apporte comme contribution au film: on peut y voir un simple musicien, une simple police, mais on peut aussi entrevoir des événements, se souvenir de ce qui s’est passé avant et/ou après. «L’autre moitié vous appartient», notre lecture nous suggère, à travers des scènes en apparences banales, une transposition de ce qu’aurait pu être la grève si il y avait eu un dialogue comme ce qu’il se passait devant l’édifice rue Fullum.

Un des intérêts du film se situe justement là. Nous avons tou·tes vécu·es les événements de la #ggi différemment. Que ce soit à travers notre participation à certaines manifestations ou à travers les récits qui nous ont été racontés, le film nous en fait découvrir de nouveaux et les liens et souvenirs s’articulent différemment selon la personne qui voit les images. L’intérêt d’un tel film pourrait être augmenté lors d’un visionnage collectif puisqu’il pourrait y avoir un partage d’informations et une circulation des échanges. Car, le film ne nous dit pas quoi penser, les images qui suivent montrent autant des manifestant·es pacifiques, en colère, vandales ou violent·es que des policièr·es conciliant·es, parfois drôles, souvent très humain·es (au regard parfois triste), d’autres fois violent·es, rempli·e de haine, injustes.

Pluralité des images et des voix
Un des exemples de polyphonie les plus intéressant du film est la manifestation des «carrés verts» présentée pour essayer de donner un aperçu de la pluralité des approches ; plusieurs critiques peuvent cependant être adressées au montage pour avoir mis cette séquence (bien qu’il faut leur donner le crédit de ne pas avoir agis de mauvaise foi pour en avoir pris une avec une cinquantaine de personnes plutôt que celle de huit personnes). La manifestation des «carrés verts» (vers 25:00) présente d’abord un échange de point de vue entre un pro-grève et un manifestant, cependant les arguments du «carré vert» ne sont pas très pertinents et facilement attaquables (on aura vu de meilleurs débats). Leur manifestation est aussi très mal organisée, elle fait terriblement amateur au point où illes n’ont pas de micro et c’est un des «carrés rouge» qui finit par en prêter un. Les erreurs lors du discours du «porte-parole» auraient aussi pu être retirées tellement elles lui ôtent de la crédibilité. Un seul exemple : le porte-parole mentionne être «à contre-courant en ce moment» alors qu’une bonne partie du discours libéral présentait la «majorité silencieuse» comme étant de son avis sur la question des frais de scolarité. Bref, on apprécie l’effort, mais les montrer sous un meilleur jour encore aurait été possible bien que ce faisant, cela leur aurait probablement laissé beaucoup moins de place dans le film (il s’agit quand même d’une longue séquence).

Le film ne laisse pas non plus la place uniquement à la jeunesse, plusieurs aîné·es sont présenté·es en train de discourir soit à titre de porte-parole, soit à titre personnel lors d’entrevues. On n’oppose ainsi pas deux générations bien que les aîné·es semblent toujours tenir un discours de laisser sa place parce qu’illes n’ont pas pu ou sont trop âgé·es pour changer la société. L’absence de personnes entre 30 et 50 ans se fait cependant sentir : mis à part dans les rôles de témoins des manifestations ou de polices, elles sont absentes des différentes démonstrations.

Un des moments les plus intéressant du film à notre avis est la comparaison entre l’injonction à l’université de Montréal et celle de l’Outaouais.
– À l’UdeM, un groupe d’élèves attend à la porte que deux représentants à l’intérieur convainquent les individus de sortir de leur classe pour respecter les votes pris en assemblée. En Outaouais, ils sont à l’extérieur de l’établissement, policiers partout.
– À l’UdeM, le cours fini par être levé grâce au dialogue. En Outaouais, l’anti-émeute, armée de fusil, de masques à gaz et compagnie empêche cette levée de cours malgré un collectif de professeur·es qui s’oppose à ces conditions.
– À l’UdeM, on assiste à une fin heureuse, à l’Outaouais, on finit avec une arrestation de masse, des blessé·es graves du côté des étudiant·es malgré l’absence d’affrontement violent.
Ces deux séquences semblent illustrer ce qu’on entend dans le préambule et voudraient servir d’explication au pourquoi la grève à persévéré à Montréal plutôt que dans les régions. Malheureusement, on ne comprend pas. Surtout que la fin du film montre l’arrivée de l’anti-émeute dans l’UdeM et le même scénario qui s’était déroulé en Outaouais se passe maintenant à Montréal, avec autant de colère et de conséquences désastreuses.

Un mot sur cette colère : elle est omniprésente. S’il y avait un moteur au film, il carburerait à la colère. La colère se manifeste autant face à la hausse qu’à la répression policière ; cette colère est aussi présente parmi les policiers qui n’hésitent pas à commettre d’énormes bévues malgré l’absence, parfois, de provocation. La colère est partout, sauf au début, car l’atmosphère est encore plutôt joyeuse : les plaisanteries avec la police sont nombreuses, on a une atmosphère beaucoup plus calme et nullement tendue. Au fur et à mesure du film, cette tension s’accroît pour ne jamais freiner (la fin du film à l’UdeM est aussi frustrante que Victoriaville). Cette colère est évidemment dirigée contre les «néo»-Libéraux de par leur refus de négocier. Ce n’est plus, à la fin, l’annulation de la hausse qui importe, mais la colère d’être traitée comme une jeunesse adolescente, une jeunesse qui n’a pas de voix alors qu’elle hurle depuis le début. Les attaques sont faites contre les libéraux car l’interlocuteur est muet, sourd et semble être aveugle à tout ce qui se passe. Les grosses, petites, festives, amusantes, intelligentes, etc. manifestations n’ayant pas réussi à attirer l’attention ; vient le temps de la colère et de l’affrontement plutôt que celui de se résigner et accepter l’injustice. C’est toute la réflexion de l’absence de dialogue que souligne la scène dans un conseil où un membre de l’exécutif de la CLASSE explique à plusieurs représentant·es étudiant·es de l’UdeM superposée à la scène de l’affrontement à Victoriaville. D’un côté, certain·es étudiant·es réfléchissent à cette absence de dialogue, essaie de trouver des réponses, soulèvent leurs intérêts tandis que les autres ont choisi l’affrontement direct faute de pouvoir faire mieux. Les scènes autour du congrès libéral étant parmi les plus violentes et éprouvantes, on ne peut qu’apprécier la contre-partie qui s’offre, très calme, dans une assemblée et qui tente de soulever les problèmes de communication.

The end?
Le générique de fin affiche des graffitis sur les murs de l’UQÀM. Aucune indication n’est laissée au spectateur quand à sa localisation ou à sa raison d’être, mais le spectateur instruit comprendra l’importance de ces œuvres laissées sur les murs. On y voit déjà là une survivance du «printemps durable» à travers l’art, une survivance qui va à l’encontre de l’establishment, aussi au sens très littéral du terme puisque l’UQÀM a repeint par la suite ces murs. Le «printemps durable» est un récit menacé par un autre, chacun y verra bien ce qu’il y veut, mais d’autres semblent vouloir tracer un trait sur cet épisode ou carrément l’effacer pour montrer une autre histoire à la place. C’est un combat de récits et ce film, sans s’imposer outre mesure, permet de construire le sien de la grève de 2012 à partir des images, mais aussi en convoquant une mémoire des événements.

Ce billet fait partie d’une série sur la #ggi.
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