6 autrices de manga féministe à découvrir

L’alliance des mots manga et féministe n’est malheureusement pas quelque chose qu’on peut voir souvent dans les discours sur la bande dessinée japonaise alors que de très nombreuses œuvres, depuis des décennies, explorent des enjeux qui remettent en question les rôles genrés et les stéréotypes, œuvrent pour l’égalité entre les genres et/ou explorent des questions liés au corps et à la sexualité des femmes. C’est le cas pour ces six autrices et leurs œuvres qui couvrent une période de près de 50 ans et continuent à être publiées et traduites aujourd’hui.

Je n’ai aucune expertise sur le genre du manga, mais au cours des dernières années, grâce aux traductions françaises et anglaises de plusieurs autrices, ainsi qu’au blog anime feminist (des analyses d’anime et de mangas japonais sous un angle féministe) sans qui je n’aurais probablement jamais entendu parler de la moitié de ma liste, j’ai pu découvrir un grand nombre d’autrices ainsi que de fantastiques lectures!

Cette liste ne propose que des œuvres ayant été traduite en français ou en anglais (parfois les deux). Elle exclut aussi beaucoup de mangas que je n’ai pas lus ou qui connaissent déjà une grande popularité (par exemple : Sailor Moon de Naoko Takeuchi, Fullmetal Alchemist d’Hiromu Arakawa, Revolutionary Girl Utena de Chiho Saito, Ranma ½ de Rumiko Takahashi, etc.).

Une liste d’achat avec tous les mangas mentionnés est disponible en français et en anglais à l’Euguélionne, librairie féministe. La plupart des mangas devraient aussi se retrouver en bibliothèque.

Moto Hagio (1949-)

Moto Hagio est considérée comme une des mères des genres du shojo manga moderne (manga à destination d’un public d’adolescentes) et du shōnen-ai (aussi appelé yaoi ou boys’ love, un genre de manga faisant figurer des hommes dans des relations homo-érotiques, mais destiné initialement à un public féminin). Ces spécialisations ne confinent cependant pas les pratiques de l’autrices à quelques récits-type et lieux communs: Hagio a autant écrit des mangas de science-fiction et de fantasy que des contes, des histoires de pensionnats, de guerre, etc. avec des thèmes aussi divers que l’image de soi et la fabrication de la beauté (La princesse iguane), la découverte de la queerness et la prise de conscience de son identité (Le cœur de Thomas), le matricide (Pauvre maman), mais aussi le mariage arrangé, l’homosexualité des enfants, l’inceste, l’hermaphrodisme (dans une nouvelle de SF), etc.

L’autrice a été grandement influencé par le bildungsroman allemand et le film de 1964 Les Amitiés particulières (source, autour de 17:00, en anglais) d’où les nombreuses histoires de jeunes hommes dans des pensionnats qui ponctuent ses récits et le cheminement qu’ils doivent accomplir au sein des œuvres. Cela ne l’empêche pas de faire des critiques d’une certaine féminité et des rôles de genre dans La princesse iguane qui reste mon récit préféré de l’anthologie.

Le coffret d’anthologie de 9 mangas de Moto Hagio chez l’éditeur Glénat

Glénat a eu une merveilleuse idée en éditant une anthologie de 9 de ses mangas pour le public francophone, même le lectorat anglophone n’a pas accès à autant d’oeuvres de l’autrice! Certains de ses récits plus connus comme Poe no Ichizoku restent à être traduit, mais cette anthologie offre une fantastique porte d’entrée à la complexité de son œuvre et même à la diversité du manga en général.

Hinako Sugiura (1958-2005)

Une mangaka qui n’a malheureusement qu’une seule traduction en français (et aucune en anglais!) soit son manga biographique Miss Hokusai (en deux volumes) qui porte sur la peintre Oei Hukusai (j’ai déjà écrit un billet qui explore la peintre du XIXe siècle pour les personnes qui désirent en lire davantage). Sugiura s’est retirée de la vie de dessinatrice pour se consacrer à des recherches sur la période Edo et devenir une spécialiste de première importance sur le sujet. Elle fut également l’assistante de la mangaka féministe Murasaki Yamada dont aucune traduction en français ou en anglais n’est disponible à ce jour.

Tome 1 de Miss Hokusai

Le manga biographique s’inspire, et cite ces inspirations (dans l’édition française à tout le moins), dans ses dessins de très nombreuses peintures de l’époque et les intègre, pas uniquement en tête de chapitre, mais aussi dans ses cases parfois de manière plus dissimulé. La lecture de l’édition française a le bénéfice d’un bon appareil de notes et de mises en contexte puisqu’on parle d’un milieu artistique et de plusieurs peintres qui n’évoquera pas malheureusement grand chose au public occidental (un peu comme si une BD parlait d’un mouvement de peinture des années 1850 et à part un ou deux peintres, il est fort probable qu’on ne connaisse pas les figures dites « mineures »). Le style est intéressant et l’autrice se permet de belles libertés dans les scènes de rêve ou d’ivresse qui accompagnent merveilleusement bien le propos.

Tome 2 de Miss Hokusai

Le manga est raconté en plusieurs scènes, surtout des scènes du quotidien de l’artiste, avec, parfois, un peu plus de détails sur le métier de peintre (sur les commandes de clients, la démarche artistique, etc.).

Un merveilleux film d’animation du même nom que je recommande très fortement a été tiré de ce manga.

Fumi Yoshinaga (1971-)

Je doit préciser que je n’ai malheureusement lu qu’une partie de la série Le pavillon des hommes de Fumi Yoshinaga (la seule traduite en français contrairement à un plus grand nombre d’oeuvres traduites en anglais), mais que cette série à elle toute seule justifie amplement la présence de la mangaka dans cette liste (je ne parlerais donc pas du restant de son œuvre).

Le premier tome de la série de Yoshinaga

Le pavillon des hommes est une série uchronique de 16 mangas qui ré-imagine une période Edo où 1 homme sur 20 survie suite à une épidémie, où le shogunat (grosso modo, le gouvernement du pays) est maintenant dirigé par une femme et où la société japonaise devient de plus en plus matriarcale. Se situant dans un « pavillon des hommes » (Ōoku), littéralement un harem constitué d’homme. On suit à travers les mangas plusieurs générations de femmes et d’hommes qui occupent le pavillon à travers leurs intrigues, les crises politiques, les famines, les découvertes, etc.

Tome 2

Plusieurs idées et thèmes sont explorés incluant les discriminations dont sont victimes les femmes et qui semblent perdurer, sous une autre forme toutefois, même après la disparition de la majorité des hommes et des remises en cause qui peuvent être effectuées. Sont aussi explorés comme thèmes la gestion administrative, ses avantages et inconvénients lors de grands bouleversements, les différences de classe, les dynamiques de pouvoir, l’inversion des rôles genrés (qui s’accentuent au fur et à mesure de la chronologie), le backlash face aux pouvoirs des femmes, etc.

Tome 3

Ce que je trouve particulièrement saisissant dans la série de Yoshinaga c’est un souci du détail de lier la narration avec des éléments picturaux qui constitue la poétique d’un volume. Dans le premier tome, par exemple, c’est sur la mode et la couture que se porte l’attention. La mode devient un élément signifiant et progressant du récit qui permet de réfléchir aux personnages, à l’intrigue, mais aussi aux images qui veulent être envoyées, ce que son ignorance apporte pour les personnages qui ne s’en soucient pas ainsi qu’une belle exploration de ses différentes formes à l’ère Edo. Le deuxième tome se concentre beaucoup plus sur les éléments floraux, mais aussi sur le travestissement. Un autre explore beaucoup plus la question de la rumeur et du gossip, surtout en terrain politique et chaque tome peut donc être envisagé comme sa propre œuvre stylistique presqu’indépendante du reste.

Les deux premiers tomes de la série ont remporté, en 2009, le prix James Tiptree, Jr. récompensant les ouvrages de SFF qui développent ou explorent notre compréhension du genre.

Rokudenashiko (1972-)

Rokudenashiko est l’artiste derrière la numérisation de sa vulve qui a organisé une campagne de sociofinancement pour financer la réalisation d’un canot en forme de vulve, de plusieurs expositions ainsi que de plusieurs objets dérivés en forme de vulve. Elle ne se cache pas de banaliser le mot manko (vulve) qui, contrairement au pénis, est considéré comme vulgaire au Japon et dont les gens (surtout les vieux schnocks selon l’artiste) s’offusquent à l’entendre prononcer et encore plus à le voir.

Bien qu’elle n’a publié qu’un seul manga et que sa production est plutôt dans les arts visuels, je pense qu’elle a tout à fait sa place dans cette liste d’autrices de manga féministe.

L’art de la vulve, une obscénité? avec en couverture un de nombreux moulages de manko de l’artiste

Dans son livre L’art de la vulve, une obscénité? (composé de trois mangas +/- distincts, de capsules info, d’une entrevue entre elle et Sion Sono ainsi que de plusieurs courts textes), Rokudenashiko raconte son emprisonnement et son jugement pour « obscénité » par la police japonaise à cause d’une loi contre l’obscénité tellement vieille qu’elle avait, lors de sa dernière utilisation, censurée, brièvement, L’Amant de lady Chatterley (D.H. Lawrence), un roman qui se retrouve dorénavant dans les librairies japonaises.

L’artiste raconte dans le premier manga l’immense surprise lors de son arrestation qui semblait complètement irréel au point où elle ne pouvait que penser à quel point ça ferait un excellent manga. Elle commence toutefois a déchanté en prison alors qu’elle réalise les horribles conditions de détention (espace, nourriture, mensonges, déshumanisation [appelée par un numéro], hygiène, etc.) et l’obsession de la police à son égard. Tout ça est raconté toutefois avec un grand humour qui se reflète même dans les moments les moins joyeux pour l’artiste qui arrive à soulever l’absurdité de la situation et à en rire plutôt que de se laisser avoir. Le manga est divisé en court chapitres entrecoupé de textes et photos d’une page chaque précisant parfois des éléments évoqués dans un chapitre qui pourrait être moins connu pour un public non-japonais (par exemple, la légende d’Urashima Taro ou la chanson Say Yes) ou plus informatif (le système de justice japonais, la pétition demandant la libération de l’artiste, le travail de Rokudenashiko, etc.).

Le deuxième manga s’attarde sur le parcours de l’artiste depuis sa jeunesse, et comment elle est devenue l’artiste qu’elle est aujourd’hui. Beaucoup plus proche d’une autofiction (autobio)graphique, plusieurs critiques sont tout de même adressée à la société japonaise, à la compétitivité dans le milieu de l’édition qui ne semble pas intéressé par le sort de leurs auteur·es, mais aussi les bons moments qu’elle a vécu notamment à travers la découverte par un public de son travail et la nécessité de celui-ci pour beaucoup de femmes.

Le troisième et dernier manga est plutôt sous la forme d’une allégorie avec une manko personnifié qui repasse à travers les étapes de la narratrice des deux autres mangas, d’une jeunesse refoulée où elle ne peut s’exprimer à une vie adulte où elle s’affirme, avec les mêmes charges politiques et militantes.

J’ai découvert l’artiste peu avant son arrestation, mais après sa campagne de socio-financement pour son manko-kayak et j’ai suivi quelques moments de sa vie par la suite, mais ce livre m’a définitivement beaucoup appris et sur le tabou associé à la vulve au Japon (elle est flouée dans toutes ses représentations en plus d’être considérée comme un mot vulgaire), mais aussi les conditions de détentions dans ce pays (quelques capsules informatives complètes le portrait graphique de l’autrice). Outre le politique du texte, le récit est aussi très maîtrisé, balançant l’informatif, le comique, le drame et les dénonciations au sein parfois d’une même page. C’est définitivement drôle, mais on ne peut s’empêcher d’être horrifié·e par le traitement qui lui est réservé.

En plus d’être un livre essentiel dans la banalisation de la vulve dans l’espace publique, c’est aussi un super manga qui raconte le parcours d’une artiste qu’on a tenté de censurer pour justement vouloir lever les tabous entourant le corps des femmes. À lire!

Junko Mizuno (1973-)

La première mangaka que j’ai eu l’occasion de lire, avec son manga Cinderalla, je suis immédiatement tombé sous le charme de son esthétique aux couleurs vives, à la mignonnitude gothique et à ses corps hypersexués (qui remettent surtout en question les représentations) absolument unique et inimitable.

Mizuno a illustré la couverture de la première édition de ce roman de Despentes

Le public français reconnaîtra peut-être son style puisqu’elle a illustré la couverture de la première édition de Bye Bye Blondie de Viriginie Despentes chez Grasset.

Cinderalla

Cinderalla, La petite sirène et Hansel et Gretel sont trois réécriture de contes traditionnels allemands commandé par son éditeur. Dans Cinderella, on réimagine une Cendrillon restauratrice tombant sous le charme d’un prince de la pop zombie ; dans La petite sirène, on retourne aux sources des sirènes mangeant des êtres humains et où la petite sirène représentée par trois incarnations, des sœurs dont une qui tombe amoureuse et l’autre qui veut se venger des êtres humains mais finie par être capturée par ceux-ci et, finalement, dans Hansel et Gretel, les enfants sauvent les adultes tombés dans un mirage de nourriture.

La petite sirène

Chacun de ces contes explorent, à l’aide du style visuel propre à Mizuno, des thèmes plus large. Dans Cinderalla, on parle de l’exploitation domestique des femmes et de la double journée de travail (littéralement puisque le jour Cinderalla doit s’occuper du restaurant et la nuit de sa belle-mère et des ses filles zombies). Dans La petite sirène, ce sont surtout les relations abusives (familiales et sociales) qui sont exploités qui se jumelle avec une réécriture de Roméo et Juliette au niveaux de l’héritage des conflits familiaux qui affectent la vie amoureuse et sociale. Finalement, dans Hansel et Gretel, le thème de l’intimidation est abordé dans un renversement de situation imprévisible; la boulimie, l’introversion et le manque de communication sont aussi liés intrinsèquement à la narration.

Hansel et Gretel

Finalement, je ne pourrais pas aborder Mizuno sans parler d’un de mes ouvrages préférés : Ravina the Witch?, un magnifique conte illustré (pas une réécriture cette fois). Le conte se déroule dans un pays d’Europe au temps de l’Inquisition. Ravina, une orpheline élevée par des corbeaux dans une décharge publique se voit offrir une baguette magique dont elle ne sait pas encore se servir par une vieille femme à qui elle a offert son aide (on a déjà pas mal d’éléments de conte juste ici). Elle doit toutefois quitter sa décharge et habiter chez un riche monsieur qui lui demande de la fouetter en échange de tout ce qu’elle désire. Insatisfaite de ce mode de vie, elle finira par quitter la ville et se liera d’amitié avec un homme solitaire qui aime porter des robes, mais qui semble faire fuir les gens. Elle lui indique que ce n’est pas son port de robe qui fait fuir les autres, mais bien le fait qu’il met trop de parfum au point où les gens s’évanouissent! Le conte poursuit sa lancée dans d’autres situations et ne cesse de rebondir d’un élément, d’un lieu commun retravaillé et d’une fantaisie à l’autre. C’est là une bonne partie du charme de l’histoire.

Ravina the Witch?

Pour ce qui est du style de l’écrit et du narratif, la figure de la sorcière est aussi superbement exploré! Mizuno ne fait pas qu’introduire une femme marginalisée avec de la magie au temps de l’Inquisition, mais il y a une véritable exploration d’une communauté de femmes ou de personnes en marge de la société, qui se réunissent pour fêter!

L’ostracisation sociale, mais aussi le pouvoir des plantes (et surtout du vin), la communication avec la nature (que ce soit à travers les corbeaux, le hibou, le chat noir, etc.) et la paranoïa autour de la figure de l’étrangère qui amène un élément étranger dans une communauté et laquelle prend peur, tous ces éléments viennent compléter des angles d’approches de cette figure de la sorcière européenne. L’autrice n’hésite toutefois pas à glisser une double page sur les tortures (toutes véridiques) que les personnes accusées de sorcellerie (en très vaste majorité des femmes; lire notamment Le Sexocide des sorcières de Françoise d’Eaubonne) subissaient et l’injustice des procès qu’on leur a fait subir: la condamnation étant rarement évitable et n’importe quel prétexte suffisait à justifier l’accusation de sorcellerie.

La fin est aussi très ouverte et laisse entendre, avec la disparition de Ravina (je n’en dis pas plus) comment autant de récits en apparence disloqués peuvent former le conte puisqu’ils viennent de divers personnes qui ont toutes leurs version des faits et ne peuvent que témoigner de ce qu’elles et ils ont vus.

Plusieurs autres mangas de Mizuno ont aussi été traduit en français, mais ne sont plus disponibles.

Kabi Nagata (1987-)

Lire Kabi Nagata, c’est une expérience unique. C’est une lecture qui amène beaucoup plus proche du vécu que n’importe quel autre livre que j’ai eu l’occasion de lire.
L’entrée dans l’intimité, la maladie mentale, la dépression, la peur, la solitude, etc. de la protagoniste était vraiment bouleversante, profonde et transformatrice pour moi. Oui, j’ai souvent lu des courtes BD, des nouvelles, voir des émissions TV, etc. sur le sujet, mais je dois avouer qu’un manga complet sur le sujet, dans toute l’intimité de l’autrice, est une expérience complètement différente.

Couverture de la version française du premier manga de l’autrice

Dans My Lesbian Experience with Loneliness (traduit en français sous l’horrible titre de Solitude d’un autre genre alors que ce n’est pas le genre, mais bien l’orientation sexuelle qui est explorée et qu’on dirait que le titre renvoi les femmes à un « deuxième sexe » ou encore renvoi la dépression comme une autre forme de solitude plutôt qu’une maladie mentale) l’autrice raconte les difficultés qui vont en grandissant de socialiser, de trouver sa place dans la société et de se conformer à des normes sociales (et énormément familiale) et sa descente dans une dépression qui lui fera tout perdre. Elle évolue progressivement et tente de se tirer de sa dépression très lentement lorsqu’elle décide d’avoir une relation sexuelle avec une travailleuse de sexe et de coucher sur papier ses sentiments et expérience. Devant le succès et de la relation sexuelle (plutôt mitigée tout de même), mais aussi surtout de son manga, elle tirera des leçons et poursuivra son travail de mangaka avec une nouvelle perspective sur sa vie et le désir de détruire les attentes familiales qui pesaient sur elle et sa santé mentale.

Outre ce cheminement de la protagoniste et auteure, il y a aussi une énorme critique des attentes sociales et familiales qu’elle met complètement en morceau à travers la narration (et sans faire la critique directement) et accuse à sa manière d’être responsable de sa dépression. Il y a aussi une autre grande critique du système éducatif japonais, mais aussi de l’énorme manque d’éducation sexuelle qui pousse à tellement de désinformations et de problèmes lors des rapports sexuels pour les femmes qui ne connaissent au final même pas leur vulve, vagin ou système reproductif, ni leur corps et ce qu’il est capable de faire et d’expérimenter. J’ai trouvé les critiques extrêmement justes, précises et incisifs sans être moralisante ou sortir du cadre narratif ce qui est un grand exploit en soi.

My Solo Exchange Diary Volume 1

Dans ses « suites », inédites en français, disponibles en anglais, My Solo Exchange Diary volume 1 & 2, à l’aide de tranches de vie, on suit le départ de l’autrice de la maison de sa famille, l’arrivée dans son propre appartement, le succès et les réactions face à son premier livre. Tout ça, c’est en surface, l’autre parle de sa dépression, beaucoup, de la relation malsaine d’amour qu’elle a développée tout au long de sa vie avec sa mère, de son besoin d’affection et du regard qui l’amène à ne pas considérer ce qu’elle peut vouloir réellement ou à tomber dans des conflits sans fin, mais aussi d’une possible véritable relation d’amitié / d’amour avec quelqu’une. Les thèmes de l’amour de soi et des autres, mais aussi de la communication (écoute) et de l’empathie sont explorés comme bénéfiques pour sa santé mentale. À la fin du deuxième et dernier volume, Nagata dessine un manga plus méta où elle explore la réaction critique à ses mangas, qu’elle a perçue comme beaucoup plus négative que son premier manga, et des effets que cette critique a eu sur elle, mais comment la formation d’un meilleur réseau l’a toutefois aidé à passer mieux au travers (ça, et de nouvelles philosophies de vie).

My Solo Exchange Diary Volume 2

Définitivement d’importants mangas au niveau stylistique. Profondément féministe et critique d’une société hétéro-patriarcale qui ne laisse pas la place aux femmes de connaître leur corps et leur sexualité au point de les rendre malades. J’ai très hâte de lire ses futurs projets.

Liste des ouvrages évoqués lors de la conférence The Americans’ Tale

Voici la liste des ouvrages que j’ai évoqué lors de la conférence The Americans’ Tale le 5 avril 2019. J’ai mis l’ouvrage en français lorsque disponible dans cette langue.

Il est possible de cliquer sur la couverture et le texte parfois (lien vers la boutique en ligne de l’Euguélionne, vers une critique que j’ai fait du livre sur mon blog et autres).

Margaret Atwood

Évidemment, nous avons parlé de The Handmaid’s Tale

Aussi, de Margaret Atwood, j’ai évoqué sa trilogie post-apocalyptique MaddAddam qui parle beaucoup plus d’environnement et d’écologie

J’ai aussi brièvement évoqué la voleuse d’homme (The Robber Bride)

Romans apocalyptiques et post-apocalyptique

L’héritière spirituelle de Margaret Atwood, Alderman décrit un monde dans lequel les femmes se découvrent un pouvoir et infligent aux hommes ce qu’elles ont subi durant des millénaires (exemple d’un roman qui effectue une inversion des genres (gender swapping) pour illustrer l’oppression)

Un roman qui reprend beaucoup des idées narratives derrière The Handmaid’s Tale, mais plus sous des angles linguistiques

Nouvelle dystopique de 1977 dans laquelle les hommes se mettent à tuer toutes les femmes pour des raisons biologico-théologique. Thèmes environnementaux aussi très présents

Brièvement évoqué comme un autre roman post-apocalyptique qui préfère nous laisser interpréter ce qu’il s’est passé

Romans utopiques

Disponible uniquement en bibliothèque. Sujet de mon mémoire, une société utopique de femmes dans laquelle la protagoniste cherche à savoir ce qu’il s’est passé pour que les femmes en viennent à tuer tous les hommes. Je parle des liens entre l’écoféminisme et le roman dans une vidéo YouTube si vous voulez préférer l’écouter plutôt que de lire le mémoire

Herland, écrit en 1915, comme un des premiers exemples de texte utopique féministe, qui gagne à être beaucoup plus connue (et son autrice, de se retrouver au rang de mère de la sociologie au même titre que les autres « pères » de la sociologie)

Afro-futurisme

J’ai évoqué le regain d’intérêt pour certains livres suite, entre-autres (beaucoup d’autres facteurs entrent en compte) au film Black Panther et à la musique de Janelle Monae

L’ouvrage se déroulant durant un apocalypse avec une protagoniste noire et un président américain avec un slogan « Make America Great Again », roman écrit en 1993!

Une autrice afro-futuriste évoquée qui s’inscrit à la suite de l’oeuvre d’Octavia Butler et vient rejoindre un plus jeune publique

Une deuxième autrice afro-futuriste évoquée qui s’inscrit à la suite de l’oeuvre d’Octavia Butler et vient rejoindre un plus jeune publique

Écologie et écoféminisme

Disponible uniquement en bibliothèque. Je parle de l’essai fondateur de l’écoféminisme dans une vidéo YouTube en relation avec le roman de SF Les Bergères de l’Apocalypse

Autres livres mentionnés

J’ai mentionné Joanna Russ, Françoise d’Eaubonne et James Tiptree Jr. parmi les écrivaines de science-fiction féministe qui sont malheureusement pas ou à peine rééditées aujourd’hui. En français, seul James Tiptree Jr. possède un roman de science-fiction en circulation parmi les trois écrivaines qui ont un large corpus dans lequel puiser.

J’ai aussi évoqué le très faible nombre de prix littéraires québécois (37,5%) décernés aux femmes. Voici ma source.

Sara Ahmed a aussi été évoquée dans une question et il a été souligné qu’aucun de ses ouvrages n’a encore été traduit et qu’ils sont malheureusement très chers en anglais (rejoignant le sort de beaucoup d’autres femmes ainsi inaccessibles pour un large public).

Aussi, brièvement évoquée, la vidéaste Natalie Wynn pour sa chaîne YouTube ContraPoints.

Une géniale vulgarisation du Deuxième Sexe de Beauvoir sous l’angle de la soumission.

Une anthologie de texte de femmes publié en réaction/réappropriation de l’insulte lancé par Trump. Un recueil de différentes perspectives de femmes qui proviennent toutes de milieux différents.

Un essai que je suis en train de lire en ce moment et qui raconte, entre-autres choses, l’histoire des « émeutes » de McGill où des afro-canadiens se sont fait tarir d’insultes racistes et comment la presse a parlé de l’événement.

Livres féministes préférés de Françoise David

Livres préférés d’Andréanne Bissonnette

Livres préférés de Nicolas· Longtin-Martel

Roman préféré à vie

Des textes du XVIIe siècle malheureusement encore beaucoup trop criant d’actualité. Choix effectué sous la contrainte de devoir en choisir parmi des centaines donc j’ai pris le dernier qui m’avait immensément marqué

Mini-critique: Le sexe nié par Osire Glacier

Introduction et bref résumé

Cet essai a un immense potentiel, à plusieurs égards, on pourrait le comparer au Sexual Politics; La politique du mâle de Kate Millett. Les deux offrent d’excellentes analyses de la littérature d’un pays (le Maroc pour Glacier, l’Angleterre et les États-Unis pour Millett) afin d’en faire ressortir la misogynie, le sexisme et l’ordre patriarcal qui y est proposé et reproduit. Les deux ouvrages développent, à l’aide de leur exploration littéraire, une idée de ce qu’est le patriarcat dans le pays respectif des œuvres. Osire Glacier va toutefois, en plus d’un très large corpus masculin, chercher dans les œuvres de femmes les conséquences du patriarcat sur elles contrairement à Millett qui analysait uniquement une certaine littérature masculine.

Afin de démontrer que le Maroc n’est évidemment pas seul dans ce développement du patriarcat, l’autrice propose plusieurs équivalents à ce qu’elle observe dans la littérature (et la société) marocaine dans le film américain Mr. and Mrs. Smith (2005). Ses observations dans la littérature ainsi que les comparaisons avec le film sont d’une grande justesse et brosse le portrait d’une société patriarcale avec une grande finesse d’analyse. C’est définitivement un ouvrage très intéressant pour l’analyse social du patriarcat au Maroc et de ses nombreuses composantes.

La critique masculine

Bien que j’ai beaucoup d’admiration pour l’essai et que c’est un ouvrage que je vais recommander amplement, j’ai toutefois été très surpris de certains de ses choix théoriques (très masculin: Bourdieu, Lévi-Strauss, Marcel Mauss, etc.) alors que des théoriciennes comme Kate Millett (pour la critique du patriarcat et la critique littéraire), Joanna Russ (avec son essai How to Suppress Women’s Writing), Nicole-Claude Mathieu (pour l’approche matérialiste), etc. auraient enrichi immensément l’essai et aurait pu lui donner plus de matériel et de contenu pour l’analyse plutôt que de s’en remettre à la critique universitaire masculine. L’essai aurait certainement été plus long à écrire et aurait contenu beaucoup plus de pages, mais le travail effectué est parfois tellement similaire que je ne pouvais que trouver dommage qu’elle n’ai pas lu (ou cité?) des ouvrages dont elle tirait des conclusions comparables. Je ne prendrais que la comparaison, pour cette critique, de l’essai de Joanna Russ: Glacier propose deux manières d’invisibiliser les ouvrages des femmes par le patriarcat dans son essai alors que Russ a écrit un essai complet sur le sujet. L’autrice du sexe nié aurait pu s’en inspirer pour ajouter à ces techniques d’invisibilisation et ainsi multiplier les exemples et les stratégies patriarcale à l’œuvre.

Est-ce là de la fiction?

J’émettrais un deuxième petite critique sur l’essai de Glacier lorsqu’elle exemplifie la présence patriarcale dans les œuvres de fiction. Là où Kate Millett analysait moins d’une dizaine de romans sur des dizaines et des dizaines de pages en plus de parler de leurs auteurs, de les mettre en contexte, de les analyser, Osire Glacier ne se contente que de citer ou relever certains passages pour appuyer ses propos. Les passages des mémoires d’auteurs et d’autrices aident son propos; je n’ai certainement pas les connaissances pour juger de l’immense travail de recension qu’elle a effectué et ce n’est pas du tout là ma critique.

Elle tire cependant de très nombreux passages de romans pour son analyse alors qu’il s’agit de personnages de fiction et qui peuvent donc très bien ne pas miroiter du tout la pensée de l’auteur (et même être bien être le contraire et être écrit comme tel). Je m’en remets à l’autorité de l’autrice sur cet aspect, mais une plus grande présentation du livre et une analyse plus approfondie de chacun d’entres-eux n’auraient pas été superflu puisque je ne comprenais pas comment citer une œuvre de fiction pouvait représenter les pensées de leurs auteur·es dans l’essai de Glacier contrairement au travail de Kate Millett qui prenait le temps d’explorer la fiction et de ne pas en tenir une lecture biographie (peut-être la comparaison est-elle injuste aussi).

« Les personnes nées avec un vagin »

Ma troisième critique de l’essai est son insistance à parler des « personnes nées avec un vagin » plutôt que, simplement, des femmes ou d’une construction de la féminité (bien qu’elle les emploie aussi, parfois de manière interchangeable surtout avec le terme de « femmes »). Osire Glacier explique très brièvement le pourquoi de cette expression au début de l’ouvrage, mais elle aurait pu employer plus simplement le terme de « femme » (aussi construit soit-il) que ça n’aurait rien changé au contenu de l’essai ou à la construction du patriarcat. Reste que cette formulation semble être sortie d’un peu de nulle part, une précision qui n’est tout simplement pas pertinente. Une raison, jamais évoquée dans l’essai toutefois, et je ne peux que spéculer sur cette dernière, derrière l’expression serait peut-être pour exclure les femmes trans de sa thèse en privilégiant un discours sur les personnes nées avec un vagin plutôt que des femmes (donc sur les hommes trans, des personnes intersexes ou des femmes cis).

Sans (re)lancer le débat sur l’avoir de privilèges masculins, ou non, des femmes trans (très brièvement: elles subissent des oppressions communes avec les femmes en plus des oppressions liés à leur identité trans), mais dans son essai, cette expression n’a pas besoin d’être utilisée. L’autrice mentionne à plusieurs reprises comment c’est la perception et l’imposition de la féminité chez les femmes comme chez les hommes à laquelle s’attaque le patriarcat. L’essai a même une petite partie dédiée à comment la perception de la féminité chez les homosexuels conduit à leur oppression. Les femmes trans étant perçue comme femme, ou à tout le moins comme féminine, il est difficile de comprendre comment seule les personnes nées avec un vagin peuvent être affectées par l’oppression patriarcale sociale contrairement à une femme trans.

Je me permettrait même, vu qu’elle mentionne Tahar Ben Jelloun à plusieurs reprises dans son essai, de parler de l’ »identité » du personnage principal de son livre L’Enfant de sable qui est un·e bach posh. Les bacha posh sont une illustration intéressante de comment la féminité est méprisée et construite et non pas seulement pour les personnes nées avec un vagin. Brièvement, les bacha posh sont des personnes nées avec un vagin à qui on assigne une identité d’homme dès la naissance et qui suivent les mêmes rites, reçoivent la même éducation, peuvent travailler, etc. La communauté, la famille, les professeurs sont généralement au courant qu’il s’agit d’un·e bacha posh et se comportent avec ces personnes comme s’il s’agissait d’hommes (même si, évidemment, il existe un spectre de pratique et d’acceptation des bacha posh et qu’il y a des problèmes qui viennent avec cette « identité »). Bref, et à mon avis, l’appellation de « personnes nées avec un vagin » pour désigner les personnes opprimées par le patriarcat dessert plus le propos d’Osire Glacier que la simple appellation de femmes.

Hollywood ou simplement Mr. and Mrs. Smith?

La dernière mini-critique que j’émettrais est l’élargissement du film Mr. and Mrs. Smith à la critique hollywoodienne. En effet, son sous-titre laisse sous-entendre Féminité, Masculinité et Sexualité au Maroc et à Hollywood, mais, outres de rares exceptions, on ne parle vraiment que d’un seul film et, plus spécifiquement, que de son scénario. Ce n’est certainement pas une défense d’Hollywood ou une manière de dire que ce film est une exception dans la production hollywoodienne, mais une importante nuance aurait dû être faite: on parle du scénario d’un film, pas d’un courant/mouvement dans son ensemble. Un tel projet aurait pris le double de pages et il aurait fallu refaire l’immense travail qu’elle a fait avec la littérature marocaine avec le cinéma hollywoodien et le soutenir avec un bagage théorique cinématographique. Le sous-titre de l’essai était donc, à mon avis, un peu trompeur et la comparaison peut-être trop tenue bien que l’analyse du film était convaincante et bien amenée.

Conclusion

Il s’agit toutefois d’un excellent essai qui vaut la peine d’être lu, j’ai l’impression que les quelques critiques que je lui adresse proviennent peut-être plus de bagages théoriques et de lectures très différentes que d’une quelconque remise en question de l’ouvrage et ces commentaires restent assez marginaux dans l’appréciation de l’ouvrage puisqu’ils ne remettent pas du tout en question les thèses et les conclusions qu’elle présente.

La conclusion de l’essai est aussi inspirée et très concrète (avec les besoins en éducation dans lequel le Maroc devrait largement investir) et rejoint les critiques que je vois habituellement sur l’absence de subventions et d’encouragements des milieux des arts, sciences humaines, éducation et dans la littérature de ce pays. Ainsi qu’après la lecture de son premier essai, Femmes, Islam et Occident, j’ai quand même hâte de voir quel essai suivra!

Retour sur les billets de 2018 et souhaits pour 2019

Retour sur 2018

J’ai légèrement augmenté le nombre de mini-critiques et analyses littéraires par rapport à l’année dernière. Je regrette toutefois de ne pas en avoir fait plus. Mon inscription sur Goodreads et les petites critiques que je fais sur tous les livres que je lis devaient me servir de tremplin à l’écriture, mais ça n’a malheureusement pas donné les fruits escomptés. Cela ne veut pas dire que j’ai chômé! J’ai ajouté de nouvelles bibliographies critiques (en plus de continuer à alimenter celles présentes), écrit des billets d’analyse autour de l’actualité politique (SLAV/Kananta et #balancetonporc), je suis aussi très content· des analyses littéraires postées cette année en plus des nouvelles directions dans lesquelles j’investis mes critiques! Ce que je ne fais pas en quantité, je crois certainement l’avoir fait en qualité (et en temps)!

Je crois qu’il s’agit aussi de l’année où j’ai été le plus cité· ce qui signifie que mon travail à eu un certain impact même s’il reste très très marginal (plusieurs billets dont j’étais très fier· n’ont même pas reçu 10 vues cette année).

Les nouveaux billets

1-Critique du film La Bolduc (2018): Féministe ou branding féministe?

Je vais rarement au cinéma (clairement moins d’une fois par année), mais la présence de Thérèse Casgrain dans la bande-annonce du film La Bolduc m’a instantanément accroché. Toutefois, au visionnage, je me suis rendu compte qu’il y avait un branding féministe clair, mais je m’interroge à savoir si le film était réellement féministe.

2-Mini-critique: Herland de Charlotte Perkins Gilman

La lecture, enfin!, de ce classique utopique féministe. J’y relève des thèmes et les approfondis brièvement, mais, surtout, je ne peux m’empêcher de m’extasier du livre et de dénoncer l’exclusion de Charlotte Perkins Gilman de l’histoire de la sociologie.

3-Mini-critique: With Her in Ourland de Charlotte Perkins Gilman

La suite, beaucoup moins connue et lue, de Herland dans laquelle la protagoniste venue d’une société utopique découvre notre monde dystopique et tombe sous le choc. Un approfondissement du tome précédent qui propose, un peu comme un essai, des pistes de solution pour rendre notre monde meilleur. J’y relève encore de nouveaux thèmes comme dans le billet précédent.

4-40+ essais féministes incontournables

Une mise à jour d’une liste comptant alors une vingtaine d’essais. Le genre de billet qui reviendra encore sous la forme d’une soixantaine lorsque j’aurais lu de nouveaux essais. C’est le type de billet le plus « viral » que j’ai, mais le billet tombe en désuétude rapidement après la première semaine alors que je lui espère toujours une plus longue vie.

5-8 choses à savoir sur les remboursements à l’Aide Financière aux Études (AFE)

Un billet que j’avais dans mes notes depuis très longtemps et que j’ai finalement publié après avoir finalisé quelques recherches sur le sujet. J’étais surtout très satisfait· d’un calculateur qui permet de déterminer le temps de remboursement de la dette d’étude en fonction du montant mensuel versé qui peut s’avérer très utile. J’ai eu au moins un retour très positif de l’utilisation de l’outil, donc c’est vraiment cool!

6-Mini-critique: Femmes et filles Mai 68

C’est une question que je ne cesse de me poser depuis mon mémoire, à savoir ce qu’on fait les femmes durant mai 68 vu leur invisibilisation complète de l’histoire écrite sur mai 68 par la suite. À l’occasion du cinquantenaire, je me suis donc plongé dans trois ouvrages autour de mai 68. Celui-là était marquant pour deux raisons: les points de vue politique étaient parfois à l’opposé complètement et il remplissait bien de nombreux blancs des pages de l’histoire. Ce panorama de point de vue était fascinant même si certaines femmes se sont servies de cette tribune pour faire part de leur position sur certains enjeux contemporains qui n’avaient aucun rapport avec le sujet du livre. La présence de lettres de refus de participer à un tel ouvrage était aussi très intéressante dans cette perspective historique. Cet essai a certainement eu un travail d’édition et de recherches complexes et je ne peux que féliciter les éditrices même si je ne suis pas d’accord avec beaucoup des propos et perspectives tenues.

7-Ce qu’un opéra de 1913 aurait pu nous apprendre sur Kanata

Une modeste contribution au long et houleux débat qui a eu lieu durant l’été au Québec (et probablement une des nouvelles les plus discutées cette année dans la province). Ce billet se voulait avant tout une invitation à découvrir l’oeuvre de Zitkala-Ša à travers The Sun Dance Opera qui a fait l’objet de critiques intéressantes par P. Jane Hafen et que je liais aux critiques de Kanata. Toutefois, personne, ou presque, n’a lu ce billet donc elle risque de rester dans l’oubli encore un moment…

8-Répartition F/H des doctorats honoris causa décernés par l’UdeM depuis 1920 (rapport 2018)

Une mise à jour annuel de la répartition F/H des doctorats honoris causa à l’UdeM. Pour la première fois depuis 1983, on a une attribution paritaire ce qui en fait la première critique positive depuis que j’ai commencé la recension en 2014. Je nuance toutefois le portrait avec une critique intersectionnelle.

9-Analyse de l’essai #balancetonporc de Sandra Muller

À l’exception d’un article dans Le Monde (qu’on pourrait difficilement qualifié d’objectif dans un tel débat), je n’ai pas trouvé une seule autre critique de cet ouvrage (pas une mention qui dit que l’ouvrage va sortir, une critique littéraire) qui pourtant aurait dû attirer l’attention de beaucoup de monde et de médias. Il est fort à parier que le message très ambivalent du livre, à la fois pro-dénonciation, mais profondément anti-féministe, a joué là-dedans. J’analyse les techniques utilisées par l’autrice pour décrédibiliser le féminisme en plus de jeter un regard critique sur la classe de l’autrice, l’utilisation du lampshading et les nombreux préjugés qu’elle véhicule.

10-À la découverte de la peintre Oei Hokusai

Un autre billet duquel je tire une grande fierté, mais qui n’a pas du tout été lu (ça semble être la règle de mes billets: plus j’en suis fier·, moins ils sont lu :S ). Dans celui-ci, je fais découvrir la peintre Oei Hokusai à travers un film d’animation et une fiction biographique qui ont été écrit autour d’elle. J’y relève les choix narratifs, la présence inévitable de son père et les impacts sur le récit, mais aussi les nombreux éléments féministes qui ces fictions soulèvent. Je conclus à un appel à sa redécouverte, mais comme pour Zitkala-Ša, ce n’est malheureusement pas moi qui pourra lui donner un coup de pouce…

Les nouvelles pages

Une des composantes primordiales de mon blog est la présence de bibliographie critique (avec, principalement, celle de Françoise d’Eaubonne). Cette année, j’ai ajouté trois nouvelles pages dont je poursuis constamment le travail de recension.

1-Bibliographie critique sur la réaction face aux spectacles SLĀV et Kanata

Un des débats les plus importants au Québec cette année avec des questions tournant autour de l’appropriation culturelle, des représentations et de la censure, je ne pouvais m’empêcher, comme je l’ai fait pour la #ggi, de ne pas laisser filer toutes ces réflexions et de les regrouper ensemble, cela peu importe leur position sur ces questions.

2-Représentation F/H hebdomadaire dans le cahier Lire du Devoir

À défaut d’être un billet original, je tire l’idée de Lori Saint-Martin qui dénonçait l’absence des femmes dans le cahier Lire du Devoir plus tôt, j’ai décidé de faire un suivi semaine par semaine et de le rendre public. Dans sa forme de 2018, il s’agissait simplement de noter le nombre d’occurrence des critiques sur des livres de femmes et d’hommes (ainsi que leur nombre de pages). Entre le 28 juillet et le 29 décembre 2018, j’arrivais au triste constat que les femmes occupaient 30,86% des critiques (contre 54,63% pour les hommes et 14,51% pour les critiques mixtes) et à peine un meilleur 32,57% du nombre de page (contre 51,72% pour les hommes et 15,71% pour les critiques mixtes). Évidemment, ce ne sont pas les seules observations qui peuvent être faites: la moitié des semaines, les hommes ont plus de 8 articles écrit sur eux, ce n’est arrivé qu’une seule fois que les femmes aient eu 8 critiques; rares sont les fois où il y a moins de 5 critiques de livres d’hommes (c’est surtout quand il y a peu de critiques cette semaine-là), mais c’est largement la norme pour les femmes, etc. Bref, on peut définitivement conclure à de la discrimination dans les critiques de livres du cahier Lire du Devoir.

3-Types de féminisation

Une recension que j’effectue depuis des années, mais qui accumulait la poussière donc autant la publier! Ça m’est particulièrement utile lorsque je discute de féminisation (ou d’écriture inclusive comme on semble privilégier aujourd’hui) pour pouvoir parler des différents types en faisant référence à des noms précis.

Réseaux sociaux

J’ai aussi, pour la première fois depuis la création du blog, décidé d’utiliser un peu plus les réseaux sociaux pour diffuser les critiques autrement que directement sur ma page personnelle. D’abord avec la création d’un profil Goodreads où je publie mes critiques à froid juste après mes lectures (avant de les reprendre ici). J’ai aussi créé une page Facebook pour le blog dans l’espoir de pouvoir rejoindre plus de monde que les simples partages sur ma page personnelle Facebook ou Twitter. La page FB me permet aussi de reproduire et d’approfondir certaines critiques de livres et de mettre à jour de manière hebdomadaire la représentation F/H dans le cahier Lire du Devoir sans avoir à embêter les gens qui pourraient se lasser de ce contenu sur ma page personnelle. Le temps permettra de savoir si en effet ça permet une plus large diffusion, mais à voir les maigres statistiques de certains billets ou pages que je trouve importantes, je n’ai absolument rien à perdre pour le moment. Ça me permettra aussi, à l’occasion, de remettre en valeur de plus vieux billets.

Statistiques

Mes billets les plus populaires (pour ce qui est des consultations) sont les mêmes pour les deux premières positions, mais il y a eu des changements pour le reste dû à l’actualité politique pour la troisième et quatrième position.

En première place, l’analyse du poème Nuit Rhénane de Guillaume Apollinaire (2010) qui est toujours très recherché par les étudiant·es en période d’examen (pouvant parfois atteindre 50 vues/jour). Ce billet a reçu plus de 4100 vues cette année. C’est toujours le billet le plus populaire depuis sa parution.

Ma pages archivant des chansons de manifestations féministes (2016) est en deuxième place ce qui est toujours plaisant.

En troisième place, mon billet sur la place des femmes dans la Pléiade (2015), un billet explorant l’absence des femmes dans la collection La Pléiade de Gallimard, est sorti de son invisibilité des années précédentes suite à des articles dans les journaux qui ont remarqué la même chose suite à la parution des oeuvres de Simone de Beauvoir dans la pléiade.

La quatrième position du classement va à la bibliographie critique sur la réaction face aux spectacles SLĀV et Kanata (2018) qui est le dernier billet à avoir plus de 1 000 vues cette année. Vu l’actualité politique québécoise de cet été et les articles qui sont ressortis en fin d’année (en plus du billet « surprise » de Robert Lepage), il n’est pas étonnant que beaucoup ait effectué des recherches sur le sujet. Je me permet d’être content· de l’utilité de cette bibliographie critique pour les recherches de nombreux internautes.

Le cinquième billet le plus consulté est une liste de 40+ essais féministes incontournables (2018) que j’ai mis à jour cette année et qui fut très partagée.

Mon billet publié cette année le plus populaire est celui sur les 40+ essais féministes incontournables suivi, très très loin derrière par la critique du film La Bolduc (2018) avec moins de 100 vues

Le blog biscuitsdefortune.com c’est maintenant 84 billets, 14 500 vues de pages en 2018 et 36 473 depuis sa création!

Souhaits pour 2019

Je souhaite encore pouvoir faire plus de critiques de livres cette année, le volet Facebook du blog aidera probablement à la réalisation de cet objectif. Évidemment, je continuerais à mettre à jour les bibliographies et songe à en ajouter au moins une cette année.

Mon projet est toutefois de réussir à rejoindre beaucoup plus de gens. À part les feux de paille pour un ou deux billets par année, les gens ne consultent tout simplement pas mes billets. La page Facebook tend à changer un peu cette réalité, à explorer donc. Beaucoup des travaux effectués sur ce blog aurait pu aider de nombreux journalistes et chercheurs (notamment avec les femmes dans la Pléiade qui ont fait le même travail (pas statistiques), mais n’avaient même pas penser à chercher sur Internet pour voir si une personne l’avait déjà fait! (J’étais quand même le premier ou deuxième résultat quand on tapait « femme » et « pléiade » dans Google…) Semblablement, la bibliographie sur SLAV/Kanata a peut-être été très consultée, mais très très peu de gens cliquaient sur les liens (peut-être se contentaient-ils pour la plupart de lire les statuts Twitter et Facebook toutefois) ce qui montre que l’usage de cette bibliographie était plus de l’ordre de la curiosité qu’un outil de recherche.

Je verrais donc cette année à trouver des moyens de rendre plus « accessible », ou à tout le moins voyant, le travail que j’effectue pour les personnes qui pourraient en avoir besoin.

Mes coups de cœur lus en 2018

Un aperçu de mes livres préférés cette année. Ce ne sont pas nécessairement des livres publiés cette année. Un lien vers la boutique en ligne de l’Euguélionne, librairie féministe est disponible pour les ouvrages en français. Les livres sont présentés par genre (Essais, SFF, BDs et mangas et des ouvrages qui m’ont très agréablement surpris), mais pas dans un ordre quelconque.

Essais

Québec

Le droit du plus fort : nos dommages, leurs intérêts (2018) par Anne-Marie Voisard

Beaucoup de critiques ont déjà tracé les nombreux liens qui existent entre la parution cette année de Le droit du plus fort et L’affaire Maillé : l’éthique de la recherche devant les tribunaux, je ne m’y attarderais pas plus qu’il ne faut là-dessus, sinon que de souligner que l’essai de Marie-Ève Maillé s’attarde beaucoup plus à l’expérience personnelle du système de justice face au système lui-même, mais aussi de l’entreprise qui essaie d’avoir accès à ses données de recherches confidentielles.

Le droit du plus fort, lui, ratisse beaucoup plus large, en prenant ancrage certes dans le procès entourant Noir Canada par la minière Barrick Gold qui poursuivit Écosociété pour 11 millions de dollars à travers deux poursuites. Le droit du plus fort va toutefois beaucoup plus loin, en terme de critique du système judiciaire en soit, mais aussi en réflexions approfondies sur nos institutions, le système de justice, en réflexions philosophiques et sociologiques. C’est un essai puissant et rentre-dedans, où la force vient à la fois de l’horrible expérience subit, mais aussi de sa réflexion très approfondie et vaste.

On réfère à Kafka comme Giorgio Agamben, Butler comme Foucault et Bourdieu, on parle de l’histoire de l’accès à la justice, ses transformations, ainsi que ce qui motive les politiques gouvernementales sur la justice. On parle autant du système que des personnes qui doivent le subir, de l’utilisation du système judiciaire comme détournement du débat publique et de ses détriments.

Probablement un des meilleurs essais québécois de l’année, une incroyable critique du système judiciaire et de ses travers, des multinationales qui phagocytent les institutions, ainsi qu’une immense réflexion philosophique sur la justice et de son accès tout en restant ancré dans le réel et ses conséquences, retraçant, bien que ce ne soit pas son objectif, l’histoire d’un procès d’une multinationale contre un petit éditeur, de ce que ça a coûté, en temps, en stress, en argent, aux auteur·es du livre (contrairement à la multinationale qui a simplement envoyé ses avocats).

Les hijras ; Portrait socioreligieux d’une communauté transgenre sud-asiatique (2018) par Mathieu Boisvert

Un très beau, complexe et très large portrait des communautés hijras en Inde (pas toute, certaines) à travers les témoignages de ces personnes ainsi qu’un suivi des communautés dans certaines de leurs pratiques et cérémonies.

On y couvre autant les cérémonies, les difficultés familiales (au sein de la famille biologique ou adoptive hijra), les rapports de pouvoir et d’autorité entre la guru et la cela (ainsi que les autres membres), les religions des hijras, le travail que peuvent effectuer les hijras, des bénédictions au travail du sexe en passant par l’implication dans des ONG, les différentes communautés, la perception sociale, le rapport au vieillissement, le cadre légal, la résolution de conflit, les rapports avec les autres membres de la société indienne, leur propre perception sur tout ça, etc. etc. etc.

La balance entre le témoignage, l’observation et le recours à d’autres sources (ou leur propre idée sur certaines interprétations) est très bien balancés (avec une nette préférence pour supporter les témoignages, il s’agit d’un portrait qui leur donne la parole avant d’être un travail d’interprétation qui est tout de même fait à certains moments).

On en apprend certainement autant sur la communauté en tant que telle que sur la société indienne de manière plus générale (l’importance de la famille, le rôle de la police, système juridique, pauvreté, etc. bien qu’une personne connaissant bien l’Inde n’apprendra peut-être pas autant sur ce plan) .

Définitivement un must pour toute personne qui s’intéresse aux formes que prennent les troisième genre et transgenres dans d’autres pays et autant leur histoire (qui est un petit peu mentionnée), mais surtout leur situation actuelle comparée à l’intérieur de deux, trois générations (et ayant évidemment déjà des changements qui semblent s’effectuer).

On fait clairement face à des communautés ou des individus très différent·es, que ce soit sur le plan de leur pratique, de leur religion, de leur attachement à la communauté ou à leur guru, de leur propre perception sur leur corps et cet essai le reflète très bien.

Policing Black Lives: State Violence in Canada from Slavery to the Present (2017) par Robyn Maynard

Excellente revue, hyper référencée, qui analyse, historiquement et sociologiquement, de très nombreuses statistiques à l’appui, le policage des corps noirs au Canada avec une bonne représentation de toutes les provinces et de (malheureusement) très nombreux cas à l’appui. Ce policage s’effectue autant dans l’espace publique par la police, mais aussi dans les prisons, le système d’adoption, à l’école, etc.

On ne ressort pas indemne d’une telle lecture. Je n’ai rien d’autre à rajouter, c’est aussi parfait que The New Jim Crow de Michelle Alexander qui était aussi impeccable sur un sujet très similaire (mais aux É-U celui-là).

À lire, tout le monde devrait le lire.

International

Rencontres radicales : pour des dialogues féministes décoloniaux (2018)

Je n’aurais pas imaginer lire un essai aussi stimulant depuis des mois, mais la collection Sorcières de Cambourakis ne cesse de m’épater et au-delà. Dans ce recueil de textes, on parle de conflit, de résolution de conflit ou simplement de quête de changement et de prises de conscience chez les groupes opprimés comme chez les groupes dominants. Que ce soit entre Noirs et Blancs, Juifs et Palestiniens, Kanak et Français, le recueil de textes couvrent des textes de toutes les perspectives, de rencontre, d’échange, de fonctionnement, de mixité et non-mixité, de stratégie, mais aussi des récits d’échecs, de statut quo. Moi qui il y a peine un mois désirait en lire davantage sur le conflit israëlo-palestinien, une perspective plus genrée sur la question et comment s’y posait la question de la colonialité, ce livre y a répondu au-delà de mes attentes. Il me laisse aussi avec plein de pistes et de réflexions à explorer. J’ai adoré, cela a confronté certains de mes à priori (notamment l’idée du groupe ou de la nation qui l’emporterait sur l’individu, même s’il est bien explicité qu’il s’agit d’une perspective sur la question et non d’un fait scientifique impossible à se détacher). Certainement mon essai préféré de l’année pour le moment et je ne cesse d’en parler à tout le monde (et tout le monde veut aussi le lire!).

La traduction est aussi vraiment remarquable à plusieurs niveau. Qu’on choisisse de traduire « affirmative action » par « action positive » plutôt que la « discrimination positive » ou encore « standpoint feminism » par « féminisme du positionnement » (ou « positionnement féministe »); chaque terme est réexaminé et réévalué pour vraiment tenir compte de, non seulement l’histoire du mot et de sa traduction habituelle, mais aussi de la réception que son lectorat peut en faire et de ses connotations. On souligne aussi lorsque les traductions s’éloignent de celles habituellement utilisés ou pouvant porter question à interrogation. Alors, juste bravo.

À lire absolument.

Ni vues ni connues (2018) par le collectif Georgette Sand

Et juste quand je critique un auteur qui justifie l’absence de femmes dans son corpus par leur inexistence (« Prenons l’époque de Platon. Est-ce qu’il y avait des femmes ? Sûrement, mais on ne les connaît pas. » WTF???!?!?! Ce monsieur semble « oublier » les philosophes et écrivaines comme Hypathie, Aspasie, Psappho, Théano, Hipparchia, Aspasie, Eudocie, Diotime, Porcia, Cléobuline, etc); je tombe sur cet essai panoramique qui JUSTEMENT se pose la question de où sont les femmes? et propose, dans 75 entrées de 2 pages (+ une illustration) de les redécouvrir, de connaître parfois la raison derrière leur invisibilisation, mais aussi de les célébrer!

Un peu à la manière des Culottées de Pénélope Bagieu (elle signe d’ailleurs la postface et plusieurs des femmes du recueil on clairement été choisie suite à la lecture de ses BDs), on présente rapidement une panoplie de femmes de différents pays, différents métiers, différents background avec humour souvent « Les femmes au sommet de l’organigramme des fonctions religieuses pourraient être le sujet d’une nouvelle d’anticipation où une société aux idées évoluées réussit à faire exploser le plafond de kryptonite qui les empêchait de devenir cheffes religieuses» et beaucoup beaucoup de concision (deux pages, c’est peu). Au plan de la concision, c’est vraiment réussi. En matière de découvertes, j’ai beau avoir l’arrogance de connaître beaucoup de ces femmes invisibilisées qui réapparaissent d’ouvrages en ouvrages, j’en apprends toujours de nouvelles et j’ai clairement noté de nouvelles lectures: Alice Guy-Blaché, Fanny Mendelssohn, Lotte Reiniger, Kâhina, Zaynab Fawwâz, Paulette Nardal, etc.; et j’ai toujours un grand plaisir quand mes préfs obscures apparaissent (Delia Derbyshire ❤ ❤ <3).

Bref, un super ouvrage très tout public qui permet de découvrir et d’approfondir cette véritable histoire effacée, de réhabiliter certaines figures démonisées à escient, d’en découvrir de nouvelles, de connaître l’importance de l’influence qu’elles ont jouée, et de rétablir l’histoire, la vraiE.

How to Suppress Women’s Writing (1983) par Joanna Russ

Fascinante analyse sur les techniques utilisées par les hommes (et plusieurs femmes) pour délégitimer et minimiser l’importance de l’écriture des femmes dans l’histoire en invoquant toutes sortes d’arguments et de raisons (incluant: elle écrit comme un homme, c’est un homme qui a écrit son livre (ou l’a très fortement aidé), un homme l’a aidé, ce n’est pas bon, c’est l’exception à la règle, ce n’est pas de la littérature, c’est de l’intime (pas de la littérature), c’est indécent, l’auteure est folle/hystérique/stupide/malade/etc., etc. etc. etc.).

En plus d’être un essai bien intéressant, c’est aussi un petit panorama sur plusieurs femmes écrivaines qu’elle veut mettre de l’avant (on a évidemment droit aux classiques Austen, Brontë, Sand, Zora Neale Hurston mais aussi des écrivaines de SF et quelques écrivaines moins connues). Le prologue de l’essai sous forme d’entrée encyclopédique de dictionnaire du futur m’a aussi beaucoup ravi·, moi qui a connu Russ surtout comme écrivaine de SF (avec notamment l’excellent The Female Man).

Il y a beaucoup de limites à l’ouvrage, sa portée, sa longueur, etc. Elle les souligne, mais il s’agit vraiment d’un classique sur l’effacement, à escient, de la littérature des femmes dans l’histoire.

Trigger Warnings: History, Theory, Context (2017) dirigé par Emily J.M. Knox

Un essai collectif fascinant qui explore l’utilisation des Trigger Warning (TW) en profondeur au-delà des débats superficiels de « liberté d’expression/académique vs protection des étudiant·es ».

Tous les articles sont aussi intéressants les uns que les autres et apportent TOUS des points de vue nouveau et intéressant sur la question (qu’ils soient pour ou contre), je n’ai cessé de prendre des notes (j’ai bien l’intention d’écrire un article sur le sujet des TW).

En plus de témoignages d’utilisation ou non, on en apprend un peu sur l’historique des TW, sur la psychologie du TSPT, de réflexion plus large sur la société, sur des outils/alternatives aux TW, etc.

Un ouvrage presque complet sur la question, une lecture fascinante et très instructive autant pour des professeurs, que des bibliothécaires, des étudiant·es, des écrivain·es ou encore n’importe qui! On en ressort beaucoup plus outillé, instruit et on aimerait vraiment poursuivre la discussion encore plus longtemps.

Définitivement l’incontournable sur le sujet, le seul problème est son prix, mais demander à vos bibliothécaires de le commander pour la bibliothèque de l’institution; il est bien possible qu’elle en ait besoin très bientôt.

Problematic: How Toxic Callout Culture Is Destroying Feminism (2018) par Dianna E. Anderson

Problematic est un recueil de courts articles (une dizaine de pages) sur plusieurs objets de la culture populaires vu à travers les critiques (entendre critique dans le sens négatif du terme) qui qualifient certains de ces objets comme « problematic » ou néfastes. De Jessica Jones à Polanski en passant par Beyoncé ou le sport masculin, Dianna E Anderson connait très bien et en profondeur et les objets culturels dont elles parlent, mais aussi les critiques qui leurs sont adressés et est capable de parler d’un côté de leur aspect néfaste quand il y en a, mais aussi de relativiser les critiques les plus dures qui leurs sont adressées, parfois de mauvaise fois, surtout quand l’objet est mal interprétés ou il s’agit d’un enjeu de pouvoir d’une personne sur l’objet.

L’introduction est probablement le maillon le plus faible de l’essai, j’ai honnêtement crû que j’allais être très déçu· du livre, mais le premier chapitre, le deuxième etc. ne m’ont jamais laissé tombé par la suite. Anderson réussit à parler, mettre en contexte, faire intervenir un bagage autour de l’objet d’analyse qu’elle observe et adresser les critiques qui lui sont faits, certaines fois avec raison, certaines fois à tort, d’autres par incompréhension de l’objet. Surtout, elle nous apprends que les critiques en rafale, qui vise un élément très précis de l’objet, qui ne le remet pas en contexte, ne regarde pas autour, conduit à plus de mal (parfois jusqu’au harcèlement ciblé intensif en force et en durée), mais sert aussi à des dynamiques de pouvoir qui servent souvent celles et ceux qui en ont déjà beaucoup.

Anderson réfléchit aussi au fait que des séries comme Jessica Jones ou Parks and recreation qui sont des réussites féministes à plusieurs égards, ont souvent un immense horizon d’attente parfait et impossible à atteindre pour des nombreuses féministes qui s’attendent à de la perfection et même s’ils réussissent à le franchir, il y aura toujours un élément (des fois, c’est le personnage principal qui agit mal, qu’on sait qu’il agit mal, mais qui sera tout de même critiqué…). Ce double standard n’est souvent pas là lorsqu’il s’agit de films non-féministes qui ne s’en prennent souvent pas autant la gueule alors qu’ils peuvent être très ouvertement misogyne et anti-féministe.

Ce n’est pas quelque chose qu’Anderson mentionne, mais ça m’a rappelé beaucoup l’immense pression qui était exercé sur des séries comme Steven Universe que des fans attendaient de voir tel et tel et tel chose se produire dans une émission qui célèbre un vaste pan d’orientation et d’expression de genre, alors que, concurremment, tout le monde faisait un immense hype pour une bromance entre Iron Man et Captain America alors qu’aucun sous-texte ne permettait même de le laisser entrevoir (et on a laissé ça passé dans le beurre). Les fans de ces objets culturels sont aussi abordés dans cet essai ainsi que les marques que ces séries « problematic » peuvent avoir eu et de la difficulté de critiquer parfois des séries puisque chaque personne peut avoir eu une expérience différente de l’objet et de l’impact immense qu’aimer une série dite « problematic » peut avoir sur une personne, la conduisant peut-être même à préférer se séparer d’un impossible standard de féministe plutôt que d’avoir à se justifier constamment d’aimer X ou Y objet.

À plusieurs égards, cette réflexion sur les attentes plus élevés pour les objets féministes, écrits par des femmes ou encore envers nous-même rejoint celle de Roxane Gay dans son essai Bad Feminist et vient approfondir la réflexion avec un bagage critique plus académique et théorique que celui de Gay surtout situé au plan de l’expérience.

Anderson couvre un large éventail de sujets comme mentionnés plus haut et cela lui permet de toucher plusieurs questions parfois différentes, parfois surprenante dont celui sur le sport masculin qui est probablement celui qui m’a le plus fait réfléchir (j’étais, bien honnêtement, déjà très d’accord avec ce qu’elle avançait, au courant des critiques faites, et des critiques qui pouvaient être adressés aux critiques). J’aurais pensé être un peu plus « challengé » dans ce livre, mais je crois que beaucoup pourront l’être.

Je crois que ce livre devrait être lu assez tôt dans les parcours de féministes. Comme j’ai souvent vu dans des témoignages ou discussion, cette idée de la pureté féministe, de la culture du call-out, est souvent une phase de début, associé à une certaine radicalité idéologique (qui n’a pas à être abandonnée! mais qui peut prendre d’autres voix), mais qui amène beaucoup de personne à rejeter rapidement le féminisme ou à ne vraiment pas se décider d’y entrer en premier lieu. Ce livre n’empêchera pas de commettre des erreurs (et tant mieux!) ou de poser des questions qui peut nous attirer leur lot de critiques, mais il devrait nous rendre conscient qu’il y a une différence entre se faire critiquer entre ami·es ou finir par se faire harceler par des milliers de personnes en ligne, aussi féministes peuvent-elles se prétendre, des années encore après le fait. C’est aussi un petit manifeste pour un droit à l’erreur, avec une réparation évidemment, une reconnaissance de ces erreurs, mais à l’erreur tout de même pour pouvoir grandir et apprendre ensemble.

Je crois, j’espère enfin, que ce livre pourrait devenir un classique au même titre que Bad Feminist, il en a tous les mérites.

Histoire mondiale des féminismes (2018) par Florence Rochefort

C’est un pari très risqué tout le temps que d’écrire un Que sais-je? qui doit intégrer des siècles d’histoire, des centaines d’angles et de mouvements, de personnalités et de réflexions en un seul ouvrage de 116 pages (excluant la bibliographie). Florence Rochefort relève le pari haut la main en réussissant à résumer et synthétiser souvent des pans entiers du féminisme en un paragraphe ou deux afin d’en survoler un maximum.

Divisé en trois parties qui ne correspondent pas aux « vagues » aux contours flous et créant une histoire souvent très linéaire et excluant d’autres mouvements parallèles (par exemple le Black feminism émergeant dans les années ’70 ou les mouvements féministes lesbiens), ce sont trois périodes couvrant un proto-féminisme (Revendication de l’égalité des sexes et l’affranchissement des femmes 1789-1860), les luttes collectives pour l’émancipation (« Le temps de l’internationalisation » 1860-1945) et un dernier qui s’efforce de couvrir tous les mouvements au sein des féminismes (pour l’égalité et la libération des femmes 1945-2000).

J’ai craint un peu pour la partie « mondiale » de l’essai, mais Rochefort couvre bel et bien les féminismes ayant émergés au Japon, en Chine, en Inde, au Moyen-Orient, en Afrique; certes, un peu moins qu’en Europe ou aux États-Unis, mais ce n’était pas non plus une histoire occidentale avec un ou deux name dropping d’Afrique juste pour dire, c’est vraiment ancré dans la trame de l’essai, c’est donc un bel exploit que d’avoir un tel essai couvrant vraiment l’aspect mondial, et pas juste une idée de féministes blanches qui exportent leurs idées partout dans le monde. On parle autant des féminismes décoloniaux, féminismes noirs ou encore des personnalités comme Gisèle Halimi, Vandana Shiva, Gayatri Chakravorty Spivak, Nazik Abid, etc.

Un excellent Que sais-je? d’introduction sur le sujet qui donnera certainement envie d’en lire plus sur les mouvements ou personnes évoquées, la bibliographie et les quelques notes de bas de pages pouvant aider à cette recherche. Je recommande définitivement.

(C’est moi où il n’y avait pas une seule Canadienne de mentionnée? Ni même n’a-t-on parlé du Canada… Bah! C’est pas trop grave, ce n’est pas le seul pays qu’il manquait et il faut bien couper quelque part si on veut aborder surtout les mouvements plutôt que les pays où ils se sont déroulés)

Science-fiction et Fantasy

Starless (2018) par Jacqueline Carey

Un des meilleurs roman de cette année que j’ai eu le privilège de lire.

Une épopée de fantasy avec des personnages super attachants, réalistes, complexes dans un monde fabuleux où les Dieux, Déesses et Divinités se sont faits bannir sur Terre et côtoient, de temps à autre, des mortel·les en leur offrant des prophéties ou des pouvoirs. Notre protagoniste a le pouvoir de canaliser les vents de Parkhum qui lui donne de pouvoir d’effectuer ses actions très rapidement que ce soit au combat ou dans déceler la réaction des gens.

Je ne suis vraiment pas fan des héro·ïnes qui réalisent une prophétie (l’idée de l’Élu·e, ça me dérange toujours en plus de poser une question du libre-arbitre qui est rarement posée dans les fictions que je lis), mais ici, l’autrice réussit à donner brillamment toute l’agentivité aux personnages d’effectuer leurs propres choix en plus de donner d’autres raisons que la prophétie pour l’action des personnages.

Je n’ose pas vraiment en dire trop parce que chaque chose que je dis, c’est un peu un spoil (et il y a tellement de chose). Juste mentionner que Jacqueline Carey arrive à se tenir loin des lieux communs dits « problématiques » face à ses personnages dont j’avais vraiment peur qu’illes empruntent une voie plutôt qu’une autre, mais elle a réussi, dans cet univers, a rendre vraiment bien leur décision et des choix vraiment éclairés au plan narratif.

Je ne peux vraiment pas en dire plus sans spoiler, mais si vous aimez les romans de formation de fantasy dans lequel un·e protagoniste s’entraîne dans un désert en compagnie de d’autres compagnons d’armes, qui doit éventuellement les quitter pour aller protéger quelqu’un·e, mais qui se retrouve catapulté·e dans une quête prophétique avec d’autres personnages tout aussi puissants et dotés de pouvoirs intéressants. Il faut lire ce livre.

La fin était parfaite, très belle ouverture, très belle manière de remonter simultanément le cours du récit et repartir de nouveau.

Trail of Lightning (2018) par Rebecca Roanhorse

Une nouvelle se déroulant dans un monde post-apocalyptique (post-apocalypse écologique avec une bonne partie des terres submergées par l’eau et plusieurs émeutes de classe aussi) et avec un univers mythologique tiré en grande partie des Premières Nations. On y retrouve la figure du Coyote qui surgit ça et là, mais aussi l’idée de pouvoirs de Clans, de divinités, etc. et de monstres qui ressemblent un peu à des Wendigo sans jamais être nommé comme tel, mais le précipice moral que les protagonistes évoquent souvent qui pourrait les transformer en monstre rappelle définitivement ce mythe. Le lieu géographie se situe sur une ancienne réserve Navajo qui retrouve son nom de Dinétah.

On suit une chasseuse de monstre possédant un pouvoir supernaturel de tuer , Maggie, envoyée en mission de tuer une Sorcière qui créerait des monstres selon Coyote avec l’aide d’un homme médecine (Kai).

Les premiers chapitres m’ont définitivement accroché, mais le séjour à travers le wasteland et les différentes péripéties m’ont fait décrochés à plusieurs reprises avant d’être vraiment de nouveau super accroché par la fin (genre 75-100 dernières pages), bref, probablement seulement le tiers du livre qui ne m’intéressait pas trop.

Cela dit, il faut s’attendre à être déçu en lisant ce roman, on jette plusieurs pistes et beaucoup de hareng rouge pour un très brusque retournement dans les dernières pages; je suis évidemment tombé dans plusieurs des pièges (pas tous toutefois, certains étaient plus évidents que d’autres surtout quand on s’attarde à certaines phrases dites 😉 ). Sans en dire trop, je crois que ça peut dire quelque chose sur les attentes qu’on place, l’auto-réalisation de prophétie ou encore toute l’idée binaire et erronée qu’on se fait du « Bien » et du « Mal » qui est brièvement discuté et qui prend définitivement tout son sens quand on sort de cette discussion dans le cadre de l’anti-héroïne (dans laquelle on présume cette discussion tenue).

C’est honnêtement un bon roman et il vaut définitivement le détour pour l’exploitation de la mythologie des Premières Nations dans un roman de fantasy (par une autrice Ohkay Owingeh Pueblo et afro-américaine). Je vais définitivement lire le deuxième de la série, mais je verrais vraiment avec mon appréciation du prochain pour voir si je continue la série.

Humain·e·s, trop humain·e·s (2017) par Jeanne-A Debats

Ah enfin! Le dernier tome de la trilogie, mais aussi le premier de la trilogie acheté uniquement dans le but de lire ce livre qui avait une féminisation dans son titre, une première à mon avis et je ne pouvais clairement pas passer à côté (d’autant plus que c’était de la SFF d’une auteure dont j’avais adoré le recueil de nouvelles La Vieille Anglaise et le continent ). Après deux tomes que je trouvais quand même bons, le troisième est définitivement excellent et son titre accrocheur se justifie très bien à l’intérieur du récit (et le bonifie à mon avis).

Il y aurait beaucoup beaucoup de chose à dire du roman: son humour débordant et hilarant, son militantisme qui se glisse de manière plus ou moins subtile dans le récit (vraiment dans les deux pôles ici), les quelques bris du quatrième mur qui vont en s’accentuant vers la fin, toutes l’action complètement épique, baroque, enlevant.

De quoi à dire aussi sur le traitement de l’objectification d’Agnès à travers les différents protagonistes (que ce soit Herfanges qui utilise son regard, son oncle qui ne lui dit jamais rien, son insertion dans un convent, le fait qu’elle sent toujours ses émotions et réactions observées.

Aussi, l’introduction de nouvelles espèces fantastiques (sans spoiler) des gargouilles aux possédé·es en passant par des forces surnaturelles plus puissantes encore que les instances majeures, etc. etc. etc.

Jeanne-A Debats met définitivement le paquet dans ce dernier tome, le paquet d’humour, d’action, de personnages, de drames familiaux, d’explorations de personnages, de mythes, et de trame narrative épique. Ça valait définitivement le coût d’acheter les deux tomes précédents pour voir cette explosion narrative.

J’en oubliait presque un mini résumé: ça ressemble, au début et sans spoiler, beaucoup aux tomes précédents: des êtres fantastiques viennent dans l’Étude demander les services de Géraud pour un héritage cette fois-ci dont toutes les autres créatures semblent vouloir s’en emparer, y compris une espèce de pieuvre extraterrestre géante surpuissante.

Space Opera (2018) par Catherynne M. Valente

Si Douglas Adams & l’Eurovision avait un bébé qui passait son temps à écouter du glam rock et à qui on avait appris uniquement des adjectifs, ce bébé ressemblerait comme deux gouttes d’eau à ce fantastique roman de science-fiction drôle, absurde et tout simplement brillant.

La scène littéraire a été attristé après le départ de Douglas Adams de ce monde pendant trop longtemps, nous ayant laissé « uniquement » 7 romans et 1 essai (sans oublier plusieurs émissions télévisuelles et radiophoniques), mais réjouissez-vous, son héritière spirituelle vient de publier le roman qui reprend la lourde tâche de rendre ce monde si beau et stupide (pour reprendre l’idée du livre) complètement absurde.

Dans un concours universel (littéralement) de musique, toutes les espèces intelligentes doivent obligatoirement participer à une sorte d’Eurovision cosmique et l’espèce perdante se fera complètement anéantir sa planète! La lourde tâche de représenter la Terre pour la première fois revient au groupe Decibel Jones and the Absolute Zeroes, un espèce de groupe de glam rock punk electro nihiliste qui était le seul groupe encore vivant qui avait des chances de ne pas perdre (essayer de gagner n’est pas même envisageable). S’en suit une compétition complètement loufoque, mais surtout la préparation à cette compétition, avec des personnages que un rockeur avec une faible estime de soi qui perd toujours les arguments qu’il a avec sa grand mère, un flamand rose bleu imprésario, un panda roux («qui n’est ni un panda, ni roux, mais ça c’est le langage pour vous») ingénieur et toutes une brochette d’extraterrestres et d’espèces qui vous fera pleurer tellement l’humour de Douglas Adams vous manquait.

J’ai passé mon temps à rire grâce au livre:

– dans le métro

– chez moi

– en librairie

– dans la rue (en y pensant)

– encore chez moi

– dans mon lit

– dans le métro

– tout seul chaque fois que je pensais à ce livre

Lisez-le, l’univers en dépend.

The Calculating Stars (2018) par Mary Robinette Kowal

Il s’agit du premier texte de l’auteure que je lis et je dois dire que je suis vraiment tombé sous le charme!!

Il s’agit d’un roman légèrement dystopique où une météorite s’écrase, durant la guerre au Vietnam, sur la capitale américaine (Washington) tuant tous les sénateurs d’un coup et les retombées de la météorite cause d’importants changements climatiques qui fait réaliser à la protagoniste que l’humanité n’en a plus pour longtemps. Commence alors une course (mais où tous les pays collaborent) vers l’espace contre le réchauffement climatique qui tuera une bonne partie des formes de vie sur Terre.

La protagoniste est une calculatrice, une des mathématicienne/ingénieure qui s’occupe de calculer les trajectoires, vérifier les maths, etc. avant l’arrivée des ordinateurs tels qu’on les connaît aujourd’hui. À la suite de la participation à une émission télé pour enfant, on lui accole le titre de « Lady Astronaut » et cela la poussera à vouloir devenir astronaute, et à la pousser à promouvoir le droit des femmes de le devenir surtout s’il faut coloniser une autre planète!

Le roman parle donc beaucoup de la discrimination envers les femmes, mais aussi envers les juifs et la population racisée aux États-Unis. Plusieurs scènes montrent des personnages ouvertement sexistes ou ne sachant tout simplement pas quel comportement adopté dans une période (années ’50) où la ségrégation se fait encore terriblement sentir (et cela encore aujourd’hui, mais passons). La protagoniste doit donc redoubler d’effort, malgré d’immense talents « naturels » pour se faire accepter comme astronaute et doit aussi lutter contre son anxiété qui lui cause son propre lot de souci.

L’attention aux détails est vraiment fascinante (j’ai envie de redevenir astronaute comme quand je voulais le devenir dans mon jeune temps, mais c’est trop tard 😦 ), l’auteure explique dans ses remerciements d’où la plupart viennent (se mettre dans la peau d’une ordinateur/astronaute n’est pas un simple exercice de projection), mais certaines descriptions en valent vraiment la peine et donne vraiment l’effet d’y être parfois. Le jargon est parfois utilisé, mais on comprend toujours ce qu’il se passe donc l’effet et le message passent très bien côte à côte.

La description du mari parfait est légèrement un peu over the top, mais ça reste un beau modèle (supportive, caring & understanding). L’autre mini-détail qui m’a accroché sont les dialogues en français qui ne semble pas avoir été relus, j’espère que la version finale (j’ai reçu un service de presse) aura corrigé ces erreurs parce que je ne comprenais même pas ce qu’il se disait…

Le roman pourrait évoquer un peu les véritables personnages de Hidden Figures (que je n’ai pas lu ou vu), l’auteure évoque son influence positive pour vraiment aller de l’avant avec ces figures, mais la rédaction du roman pré-date la sortie du livre, ce n’est donc vraiment pas une copie ou une tentative de s’approprier du succès; c’est dans l’ère du temps.

N’importe qui d’intéressé·e par l’espace, les fusées, l’expérience d’une ordinateur, ce livre est définitivement pour vous. Je recommande toutefois un 14-15 ans (?) à cause du contenu sexuel à la fin de quelques chapitres (et honnêtement, c’est un peu répétitif, on aurait facilement pu en couper la moitié).

Herland (1915) par Charlotte Perkins Gilman

Ma critique complète sur mon blog

Lagoon (2014) par Nnedi Okorafor

Par un·e de mes auteur·es préféré·es, mais pas nécessairement mon roman préféré.

On suit le parcours de plusieurs habitants de Lagos qui ont tous leurs défauts, leurs qualités aussi parfois, qui se retrouvent au cœur de l’arrivée d’extraterrestres dans la ville. Ceux-ci ont-ils des intentions pacifiques ou non, je ne gâcherais pas, mais ça dépend vraiment de qui les voit et de ce que les différents personnages pensent que les aliens peuvent apporter à la ville ou à eux-même.

Un roman donc avec une pluralité assez importante de point de vue sur un même événement.

C’est aussi un peu un roman d’origine de super-héro·ïnes, je ne nommerais évidemment pas lesquels, ça devient assez rapidement une évidence, mais plusieurs personnages se découvrent des pouvoirs ou surtout, apprennent à composer avec les pouvoirs qu’illes savaient avoir, mais n’oser pas utiliser souvent par peur.

Assez clairement un petit hommage à O. Butler (série Parable) avec toutes les discussions autour du changement, d’embrasser le changement, d’accepter le changement et qu’il est inévitable. Autant chez les humains, que chez les animaux (leur traitement est vraiment intéressant dans ce roman!!).

Finalement, le dernier chapitre est juste vraiment très intéressant comme réflexion sur la figure auctoriale et son implication dans le monde, en plus de faire vraiment sourire quand même.

Bref, un roman qui prend beaucoup beaucoup de perspective (ce qui peut rendre la narration parfois un peu complexe), tourne énormément autour de la ville de Lagos, de ses lieux et ses habitants, plusieurs clins d’œil à droite à gauche, bref, un bon roman d’une excellente auteure.

Bandes dessinées et mangas

My Lesbian Experience with Loneliness (2017) par Kabi Nagata

Lire ce manga était définitivement une expérience en soi, une expérience que je n’ai jamais eu l’occasion d’avoir avant. L’entrée dans l’intimité, la maladie mentale, la dépression, la peur, la solitude, etc. de la protagoniste était vraiment bouleversante, profonde et transformatrice pour moi. Oui, j’ai souvent lu des courtes BD, des nouvelles, voir des émissions TV, etc. sur le sujet, mais je dois avouer qu’un manga complet sur le sujet, dans toute l’intimité de l’autrice, c’est une expérience complètement différente.

Dans ce manga, l’autrice raconte les difficultés qui vont en grandissant de socialiser, de trouver sa place dans la société et de se conformer à des normes sociales (et énormément familiale) et sa descente dans une dépression qui lui fera tout perdre. Elle changera progressivement et se tirera de sa dépression très lentement lorsqu’elle décidera d’avoir une relation sexuelle avec une travailleuse de sexe et de coucher sur papier ses sentiments et expérience. Devant le succès et de la relation sexuelle (plutôt mitigée tout de même), mais aussi surtout de son manga, elle tirera des leçons et poursuivra son travail de mangaka avec une nouvelle perspective sur sa vie et le désir de détruire les attentes familiales qui pesaient sur elle et sa santé mentale.

Outre ce cheminement de la protagoniste et auteure, il y a aussi une énorme critique des attentes sociales et familiales qu’elle met complètement en morceau à travers la narration (et sans faire la critique directement) et accuse à sa manière d’être responsable de sa dépression. Il y a aussi une autre grande critique du système éducatif japonais, mais aussi de l’énorme manque d’éducation sexuelle qui pousse à tellement de mésinformations et de problèmes lors des rapports sexuels pour les femmes qui ne connaissent au final même pas leur vulve, vagin ou système reproductif, ni leur corps et ce qu’il est capable de faire et d’expérimenter. J’ai trouvé les critiques extrêmement justes, précises et incisifs sans être moralisante ou sortir du cadre narratif ce qui est un grand exploit en soi.

La seule critique que je fais du manga et qui vient tout de même teinter ma lecture est la description un peu naïve de deux relations sexuelles avec des travailleuses du sexe. Oui, elle en tirera énormément de plaisirs et d’apprentissage, mais elle détaille et portraitise les travailleuses comme des gens qui désirent fondamentalement prendre soin d’elle et de son corps. Peu importe que cela soit véritable ou non, il y a un détachement à avoir quant au fait qu’il s’agit de leur travail de donner une telle impression et je crois que l’auteure est un peu tomber dans le piège justement d’une certaine fictivité du rapport sexuel perçu comme authentique (ça l’était certainement pour elle toutefois). En contrepartie à tout ça, il y a cependant une critique des médias yuri qui dépeignent de manière beaucoup trop fictives les relations sexuelles entre même genre (mais surtout les hommes) et qui crée des attentes disproportionnées.

Définitivement un grand manga au plan stylistique et de grande importance aujourd’hui. Profondément féministe et critique d’une société hétéro-patriarcale qui ne laisse pas la place aux femmes de connaître leur corps et leur sexualité au point de les rendre malades.

Le pavillon des hommes, Tome 1 (2005) par Fumi Yoshinaga

Excellent manga uchronique qui imagine une période Edo où 1 homme sur 20 survivent suite à une épidémie et où le shogunat est maintenant dirigé par une femme.

Se situant dans un « pavillon des hommes », littéralement un harem constitué d’homme, on suit d’abord l’arrivé d’un nouveau venu pris au milieu d’intrigues politiques assez élaborée puis, vers la deuxième moitié du livre, l’arrivée de la nouvelle shogun, très économe en temps de crise qui va tenter de couper le plus possible dans ce pavillon d’hommes dont elle semble vouloir se départir (entendre réduire le nombre d’hommes dans le harem pour économiser), imaginant aussi ce pavillon comme un reliquat d’une période plus patriarcale (la fin, un à suivre, nous laisse cependant présager que c’est loin d’être aussi simple) tout en se méfiant de ne pas trop se brusquer contre les traditions qui pourraient bien lui coûter dans un jeu politique plus large.

Ma seule est unique critique, et parfois un peu de confusion, est lié au très important nombre de personnages qui, pour le moment, semble venir et partir assez facilement.

Plusieurs idées et thèmes sont explorés dont évidemment les discriminations dont sont victimes les femmes et qui semblent tout de même perdurer, sous une autre forme, même après la disparition de la majorité des hommes et des remises en cause qui peuvent être effectuées.

La gestion administrative, et de ses avantages/inconvénients lors d’un grand bouleversement est aussi amplement exploré dans ce manga.

Mon intérêt s’est cependant particulièrement porté sur la mode et la couture, élément signifiant et progressant du récit qui permette de réfléchir aux personnages, à l’intrigue, mais aussi aux images qui veulent être envoyées, ce que son ignorance apporte pour les personnages ainsi qu’une belle exploration de ses différentes formes à l’ère Edo (plusieurs notes de bas de pages, sincèrement très appréciées, nous permettent d’apprécier encore plus cette exploration).

Anthologie (De la rêverie, De l’humain) (2013) par Moto Hagio

Cette anthologie de 9 mangas de Moto Hagio est divisée en deux tomes: le premier « De la rêverie » avec des mangas plus fantaisiste et de SF (incluant «Nous sommes onze» et sa suite) et l’autre « De l’humain » de facture plus réaliste et souvent beaucoup plus tragique.

Je dois dire avoir été très très agréablement surpris· par cette lecture fascinante, si certains mangas sont beaucoup plus intéressant que d’autres (« La princesse Iguane » étant mon préféré), aucun d’entres-eux n’étaient inintéressants même si l’intrigue se devinait assez facilement (« Le petit flûtiste de la forêt blanche), son style de dessin est vraiment très beau, on voit le temps mis à créer et des univers, et le scénario et le dessin.

Les thèmes de cette anthologie couvre vraiment une large portion de son oeuvre, l’édition a clairement privilégié de mettre de l’avant une variété de thèmes et de styles de l’auteure plutôt que tous ses classiques (ex: « Poe no Ichizoku » n’est pas dans cette anthologie). Cette lecture toujours très fluide, elle prend souvent le temps d’expliquer ce qu’il se passe à travers ses personnages surtout dans ses récits de SF, ses récits plus réalistes sont cependant plus durs à lire puisqu’ils abordent souvent des tabous profonds (matricide, pédophilie) et des thèmes qui n’étaient pas nécessairement facile à aborder pour certains contextes: homosexualité enfantine, mariage arrangé, hermaphrodisme (dans la nouvelle de SF, un personnage d’une planète peut « choisir » son genre après un certain âge bien que la société le lui impose plus souvent qu’autrement). Son écriture est définitivement féministe et engagé et critique de beaucoup de relation de pouvoir (mariage arrangé, métiers réservés aux hommes, répression de l’homosexualité, désir, parents n’aimant pas leurs enfants, etc.); certaines idées peuvent parfois nous surprendre cependant, et on se demande si c’est l’auteure qui le pense ou non pas plutôt certains de ses personnages qu’on pourrait penser plus conservateurs.

Quoi qu’il en soit, je n’hésiterais pas du tout à recommander amplement cette anthologie (vraiment pas chère en terme de qualité et quantité bien honnêtement) à quiconque désire s’introduire au manga en général: la variété de thèmes et histoires abordées (d’une histoire durant la seconde guerre mondiale en France avec un enfant assassin « Le coquetier » à un space opéra mettant en scène des personnes hermaphrodites, un roi, et tout un assemblage de personnage « Nous sommes onze ») ainsi qui le style de l’auteure est certainement une magnifique porte d’entrée au genre.

L’art de la vulve, une obscénité ? (2016) par Rokudenashiko

Rokudenashiko est l’artiste derrière la numérisation de sa vulve qui a organisé une campagne de sociofinancement pour financer la réalisation d’un canot en forme de vulve, de plusieurs expositions ainsi que de plusieurs objets dérivés en forme de vulve. Elle ne se cache pas de tenter banaliser le mot Manko (vulve) qui, contrairement au pénis, est considéré comme vulgaire au Japon et les gens (surtout les vieux schnocks pour l’artiste) s’offusquent à l’entendre prononcer, encore plus à le voir.

Dans ce livre (composé de trois mangas +/- distincts, de capsules info, d’une entrevue entre elle et Sion Sono et de plusieurs courts textes), Rokudenashiko raconte son emprisonnement et son jugement pour « obscénité » par la police japonaise à cause d’une loi contre l’obscénité tellement vieille qu’elle avait, lors de sa dernière utilisation, censurée, brièvement, L’Amant de lady Chatterley (de D.H. Lawrence), un roman qui se retrouve dorénavant dans les librairies japonaises.

L’artiste et mangaka raconte dans le premier manga l’immense surprise lors de son arrestation qui semblait complètement irréel au point où elle ne pouvait que penser à quel point ça ferait un excellent manga. Elle commence toutefois a déchanté en prison alors qu’elle réalise les horribles conditions de détention (espace, nourriture, mensonges, déshumanisation [appelée par un numéro], hygiène, etc.) et l’obsession de la police à son égard. Tout ça est raconté toutefois avec un grand humour qui se reflète même dans les moments les moins joyeux pour l’artiste qui arrive à soulever l’absurdité de la situation et à en rire plutôt que de se laisser avoir. Le manga est divisé en court chapitres entrecoupé de textes et photos d’une page chaque précisant parfois des éléments évoqués dans un chapitre qui pourrait être moins connu pour un public non-japonais (par exemple, la légende d’Urashima Taro ou la chanson Say Yes) ou plus informatif (le système de justice japonais, la pétition demandant la libération de l’artiste, le travail de Rokudenashiko, etc.).

Le deuxième manga s’attarde sur le parcours de l’artiste depuis sa jeunesse, et comment elle est devenue l’artiste qu’elle est aujourd’hui. Beaucoup plus proche d’une autofiction (autobio)graphique, plusieurs critiques sont tout de même adressée à la société japonaise, à la compétitivité dans le milieu de l’édition qui ne semble pas intéressé par le sort de leurs auteur·es, mais aussi les bons moments qu’elle a vécu notamment à travers la découverte par un public de son travail et la nécessité de celui-ci pour beaucoup de femmes.

Le troisième et dernier manga est plutôt sous la forme d’une allégorie avec une manko personnifiée qui repasse à travers les étapes de la narratrice des deux autres mangas, d’une jeunesse refoulée où elle ne peut s’exprimer à une vie adulte où elle s’affirme, avec les mêmes charges politiques et militantes.

J’ai découvert l’artiste peu avant son arrestation, mais après sa campagne de sociofinancement pour son manko-kayak et j’ai suivi quelques moments de sa vie par la suite, mais ce livre m’a définitivement beaucoup appris et sur le tabou associé à la vulve au Japon (elle est flouée dans toutes ses représentations en plus d’être considérée comme un mot vulgaire), mais aussi les conditions de détentions dans ce pays (quelques capsules informatives complètes le portrait graphique de l’autrice). Outre le politique du texte, le récit est aussi très maîtrisé, balançant l’informatif, le comique, le drame et les dénonciations au sein parfois d’une même page. C’est définitivement drôle, mais on ne peut s’empêcher d’être horrifié·e par le traitement qui lui est réservé.

En plus d’être un livre essentiel dans la banalisation de la vulve dans l’espace publique, c’est aussi un super manga qui raconte le parcours d’une artiste qu’on a tenté de censurer pour justement vouloir lever les tabous entourant le corps des femmes. À lire!

Ouvrages qui m’ont très agréablement surpris

Québec

La formation d’une culture élitaire dans une ville en essor : Joliette, 1860-1910 (2018) par Lysandre St-Pierre

J’ai pris cet essai aux Les éditions du Septentrion surtout pour en apprendre un peu plus sur un sujet dont je connaissais absolument rien (le titre évoque très bien son contenu), pensant très honnêtement qu’au mieux j’en apprendrais un peu sur Joliette et le développement urbain. J’avoue que cet essai a vraiment dépassé mes à priori sur le livre.

À travers quatre chapitres (comment l’élite se forme et quelles lieux elle investit, sur l’éducation de l’élite et la (re)production de rôle hyper genrés, la maison et l’aménagement, et finalement la création d’une honorabilité et de lieux « publics » où la jouer), Lysandre St-Pierre effectue un fascinant tour d’horizon critique de cette élite bourgeoise dont le seul objectif semble être de reproduire ses propres codes d’une génération à l’autre (tout en s’assurant évidemment de dominer sur des classes « inférieures »). Le chapitre sur l’éducation m’a évidemment beaucoup plus interpellé que les autres, notamment en ce qui a trait aux différences de genres, au cantonnement des femmes dans un rôle de mère et d’hôte de soirée (bien que vers la fin, on voit émerger une association de femme, mais elle est créé pour que les rencontres soient vraiment fixes juste avant le souper familial). L’homme est aussi élevé dans ces carcans très serrés et des milliers de conseils viennent le « guider » dans le choix d’une épouse qui doit évidemment correspondre parfaitement à cet idéal bourgeois et dont il a la responsabilité morale d’exercer une autorité sur elle dans lequel cas où elle dévierait de ce rôle. Si une femme ne pouvait tenir se rôle, il lui restait le couvent où l’appellation de vieille fille (ce qui n’était pas une bonne chose).

On voit aussi comment les journaux de la ville avait la fonction de renforcer cette domination auprès de la population, mais aussi de donner le ton aux valeurs qui devaient être vues au sein de la bourgeoisie (au risque de ne pas être vraie, mais l’impression était définitivement plus important que les actes) à l’aide d’article, de compte rendu de soirée, d’invitations à des spectacles ou des lieux (réservés, plus souvent qu’autrement, à une élite restreinte), mais aussi à travers les notices nécrologiques (où l’épouse est aussi ramenée à son mari qui, dans un exemple donné, prend la moitié de la place de la notice nécrologique alors qu’il est mort depuis une vingtaine d’année!).

Bref, un super essai sur la constitution d’une soi-disante « élite », comment elle fait pour tenter d’asseoir sa domination à l’aide d’un discours de respectabilité, de charité, de lieux privés, des journaux de la ville, de l’éducation, mais jusque dans l’établissement d’une architecture commune à tous les bourgeois avec des pièces qui les distingue.

Plusieurs cartes, plans, photos viennent aussi agrémenter cet essai et donner un aspect plus visuel aux sections qui peuvent être parfois un peu plus abstraite (surtout en ce qui concerne l’aménagement et le décor de la maison).

Définitivement une lecture qui se dévore!

Jeanne Lapointe : artisane de la Révolution tranquille (2013) (collectif)

C’est avec beaucoup d’émotions que j’ai lu ce recueil d’hommage à Jeanne Lapointe dont je n’avais jamais entendu parler avant d’ouvrir ce livre (peut-être évoqué ça et là, mais hélas, je n’en avais jamais retenu le nom). J’ai été évidemment intéressé par le nom de Louky Bersianik sur la couverture et la quatrième de couverture me semblait suffisamment intéressante pour que je me décide à le lire au complet.

J’ai découvert une femme très active dans les milieux féministes et littéraires, et qui effectuait surtout ce travail de l’ombre de critiquer, discuter, rédiger des documents collectifs, bavarder, inviter des gens à des partys, rencontres, discussions, etc. tout en animant et discutant amplement. C’est du moins souvent le constat et le souvenir qu’en avait les nombreux écrivain·es et intellectuel·les qui témoignent.

J’ai appris l’existence de cette femme qui a autant énormément aidé à la rédaction du rapport Parent (et dont elle a introduit les membres à des cours de dynamique de groupe!!!) et radicalement militante de fauche, mais qui a aussi participé à la commission Bird, qui a fait des critiques littéraires, aider financièrement Anne Hébert alors qu’elle traversait des passes plus difficiles (elle est même allée lui porté une dinde et un sapin en France juste pour elle!!!). C’est une enseignante qui donnait et prêtait beaucoup de livres et poursuivaient les discussions de classe jusqu’à tard (en achetant de la pizza pour les élèves!!!). Elle adorait aussi manger des plats qu’elle ne connaissait pas ce qui a définitivement donné, pour moi, une passion pour cette intellectuelle. Elle ne se contentait pas non plus de critiques anti-cléricale à ses débuts (surtout pour le rapport Parent et la fin des écoles confessionnelles), implications et créations de milieux littéraires et artistiques féministes au Québec, mais partait aussi militer au États-Unis dans des manifestations pour les droits civiques des africains-américains. Bref, une femme de toutes les luttes, très généreuse de sa personne (je me posais quand même beaucoup de question sur d’où vient une partie de cette fortune), mais qui œuvrait sciemment dans l’ombre et à probablement achever de la faire disparaître à sa mort pour les générations suivantes s’il n’était pas des expositions ou de ce livre hommage.

Une féministe à redécouvrir et elle est maintenant sur mon radar, je ne la laisse plus partir.

Polatouches (2018) par Marie Christine Bernard

Entre un roman qui parle de recherche de soi et d’identité et un roman d’horreur; ce livre aborde frontalement des questions d’identités (autochtones, lesbiennes) dans des contextes qui peuvent être très difficiles pour les personnages qui doivent faire face à des préjugés et de la discrimination.

C’est aussi une histoire d’horreur qui s’inspire, je n’en dirais certainement pas trop (c’est là une des intrigues du livre), d’une légende des premières nations dont je trouvais l’absence consternante dans la littérature « générale ». Cette adaptation est pleine de sensibilité et de respect et se mêle avec brio avec la partie beaucoup plus humaine du récit.

Le livre était accrochant, humain et touchant. Un bon récit au fond que j’ai vraiment dévoré d’une traite.

International

The Ghost Brush (2010) par Katherine Govier

Ma critique complète sur mon blog

Égalité des hommes et des femmes (1622) par Marie de Gournay

Une superbe préface de Milagros Palma qui s’attarde à parler des processus d’exclusions des femmes de la littérature ou des prétentions littéraires (notamment au sein de l’Académie en citant Alain Décaux qui se prétend historien objectif, mais rejette Marie de Gournay des canons littéraires parce que selon lui, elle était moche [oui, oui, c’est la raison de son rejet d’un essai de 1980]).

Les deux textes de Gournay sont aussi excellent à souhait. L’Égalité des Hommes et des Femmes est une défense assez classique dans son genre (bien qu’une des première) citant à profusion des philosophes et théologiens, mais avec son lot de piques ça et là qui agrémente définitivement la lecture.

C’est cependant le Grief des Dames (1626) qui parle notamment des processus d’exclusions des femmes des prétentions littéraires de l’époque qui m’a le plus surpris.

À propos de quoi, je tombai l’autre jour sur une Épître liminaire de certain personnage, du nombre de ceux-là qui font piaffe de ne s’amuser jamais à lire un Écrit de femme!

Non seulement la démonstration en est une qui est encore faite aujourd’hui (d’où la préface), mais l’impertinence (dans le sens de « sassy » en anglais) avec laquelle elle fait cette démonstration est incroyable!

Remarquons en ce discours que non seulement le Vulgaire des Lettrés bronche à ce pas, contre le sexe féminin, mais que parmi ceux mêmes, vivants et morts, qui ont acquis quelque nom aux lettres en notre Siècle, je dis, parfois sous des robes sérieuses; on en a connu qui méprisaient absolument les Oeuvres des femmes, sans se daigner amuser à les lire, pour savoir de quelle étoffe elles sont, ni recevoir avis ou conseil qu’ils y peuvent rencontrer : et sans vouloir premièrement informer s’ils en pourraient faire eux-mêmes qui méritassent que toute sorte de femmes les lussent. Cela me fait soupçonner, qu’en lisant les Écrits des hommes mêmes, ils voient plus clair en l’anatomie de leur barbe, qu’en celle de leurs raisons […].

C’est vraiment, en plus d’une impeccable démonstration, encore une fois très appuyée, remplis de traits d’esprits et d’une belle humeur qui nous présente une Marie de Gournay en pleine possession d’un ethos impitoyable envers une masculinité qui n’a aucun égard pour les femmes.

Après avoir lu ces deux textes, j’ai juste envie de la sacrer comme sainte patronne des écrivaines féministes et de tout lire d’elle (mais évidemment, à part ces deux textes, rien d’autre d’elle n’est réédité, l’histoire ne change pas).

It’s Complicated: The Social Lives of Networked Teens (2014) par Danah Boyd

Les réflexions sur le numérique, son utilisation et sa continuité de la simple expérience non-virtuelle sont des réflexions qui m’intéressent toujours énormément. Je n’ai pas souvenir de pourquoi j’avais noté ce livre là, probablement une vidéo qui l’évoquait en passant, mais je l’ai acheté et je ne le regrette pas une seule seconde.

À travers plusieurs enquêtes effectuées auprès des jeunes dans les dernières années (en parle d’avant 2014 alors que MySpace était beaucoup plus utilisé que Facebook, mais dont la migration commençait à se faire sentir très fortement et les deux plateformes étaient plutôt en concurrence), l’auteure explore l’utilisation du numérique et de ses plateformes chez les jeunes en démystifiant beaucoup BEAUCOUP d’idées reçues. « Même moi », je me suis surpris à reproduire quelques mythes (notamment que les jeunes qui seraient plus « native » au numérique que la génération dite « migrant » sur le numérique), mais aussi quand aux raisons qui poussent les jeunes à se tourner vers le numérique (l’interdiction des parents de sortir par peur de prédateurs, couvre-feu, etc. poussent souvent les jeunes à se retrouver sur les réseaux sociaux car, ne peuvent se retrouver en « vrai »).

À travers plusieurs chapitres, elles couvrent de manière très intéressante les questions identitaires chez les jeunes face au numérique, au privé (autant en terme de connaissances des outils pour rendre sa présence plus privée, questions très discutées aujourd’hui que le manque d’outil et d’instruction quant à déceler certaines choses), la « dépendance » aux réseaux sociaux, les supposés danger de prédateurs en ligne (et ce qu’il en est réellement, et quelle sont les véritables menaces en ligne), mon chapitre préféré était définitivement sur l’intimidation, mais elle déconstruit aussi le mythe du numérique comme grand égalisateur entre les classes sociales et les ethnies et finalement, elle s’attarde à la question des « digital natives ».

Bref, un très gros programme qu’elle attaque en se servant beaucoup des entrevues faites avec les jeunes pour réfléchir à l’impact très personnel, sans éviter toutefois de se référencer à la théorie et aux statistiques. Le chapitre sur les prédateurs est certainement très complet à cet égard et démontre l’importance pour son auteure de vouloir recentrer radicalement le débat pour éteindre les « paniques morales » et s’intéresser aux vrais problèmes, qui sont en fait des problèmes sociaux pas propres au numérique.

Il s’agit aussi bien d’un livre grand public qui peut démystifier énormément de préjugés et d’angoisse pour les parents (surtout) de jeunes et d’enfants, mais les fans d’essais en auront définitivement pour leur intérêt avec une panoplie de réflexions et témoignages intéressants qui sont amenés. Je pense sincèrement que tous les parents devraient lire ce livre, il est aussi très informatif pour soi.

Qui ai-je lu, et dans quelles proportions, en 2018?

Présentation du projet

Je suis déjà sensibilisé· au besoin de balancer mon corpus de lecture. Cette prise de conscience est facilitée par le fait de travailler dans une librairie féministe ce qui me permet, plus aisément, d’être capable d’effectuer une sélection beaucoup plus représentative des divers écrits contrairement à, par exemple, des critiques ou des prix littéraires. Cependant, même le fait d’être conscient·e de certaines réalités n’empêchent pas l’inscription de nos biais dans plusieurs sphères de notre vie comme le genre des personnes qu’on suit sur Twitter (ou les personnes qu’on re-gazouille) ou le type de livres qu’on prend (qui peut être influencé par une critique, une disposition et une disponibilité des livres écrits par les hommes).

Afin de prendre conscience de mes propres biais, que je remarque chez certains autres dans leur biographie presqu’exclusivement masculine, j’ai non seulement noté toutes mes lectures de l’année, mais leur ai aussi donné une note sur 5 (de 1 à 5, entièrement subjective, j’ai donné des notes de 1 à des ouvrages que d’autres pouvaient considérer digne de prix littéraires et il est probable que l’inverse soit possible!!!) afin de voir comment je jugeais la littérature de personnes que je lis en fonction de leur identité de genre, leur ethnicité ou leur orientation sexuelle. Je n’ai pas constitué cette base de donnée avant la fin-décembre (et après avoir choisi les livres que je lirais avant début janvier) afin qu’elle n’influence pas mes résultats, mais je savais que je ferais un tel exercice vers le mois de février/mars 2018. Je referais l’exercice l’année prochaine avec les mêmes conditions, mais ayant en main les résultats de cet année, il est fort à parier que cela influence mes lectures à l’avenir.

Deux perturbations importantes dans les données

Bien que je suis libraire dans une librairie féministe et que j’ai tendance à sur-privilégier les livres de femmes à ceux d’hommes pour rééquilibrer ma bibliothèque, mais aussi pour pouvoir parler des livres que je vends, j’ai toutefois fait partie d’un comité de sélection pour un prix littéraire ce qui m’a forcé à lire des livres lesquels je n’aurais jamais lus. Cela inclut évidemment beaucoup d’hommes. Plusieurs hommes, mais aussi plusieurs livres assez sexistes dans les personnes qu’ils citaient ce qui influençait souvent mon jugement à la négative (mais ce n’était jamais le seul facteur d’une note).
Je suis aussi très fan de Doctor Who, ce qui me pousse à acheter et écouter beaucoup de drames et livres audio produits par une compagnie anglaise (Big Finish Productions). Toutefois, malgré un plus grand nombre d’actrices que d’acteurs la vaste majorité du temps dans ces oeuvres, l’omniprésence d’écrivains derrières ces audios est consternante. Ma collection préférée (en terme de prix et d’accessibilité) ne comporte qu’une seule écrivaine sur 72 audios (note: je compte les 7 premières saisons avant le changement complet du format, après on compte une femme et 15 hommes pour quatre saisons). Je fais souvent attention à mes achats à cet égard, mais la BBC diffusant des épisodes gratuits au moins une fois par année (et les DCs étant un luxe pour le dollars canadien), je saute toujours sur l’occasion de les écouter gratuitement. Toutefois, plusieurs de ces épisodes audio écrits par des hommes ne m’ont pas tant intéressé· (je ne les ai pas choisi contrairement à ceux que j’achète) d’où aussi un petit effondrement de la note moyenne des hommes à cet égard.

Mon hypothèse de départ était que les hommes allaient probablement avoir une meilleure note moyenne que les femmes pour la seule et unique raison que si je lisais max. 2 hommes par mois (sur une quinze-vingtaine d’ouvrages par mois), j’allais certainement privilégier des ouvrages que je risquais d’aimer beaucoup plus que ceux des femmes, mais à cause de ces deux facteurs, la moyenne des hommes est beaucoup plus basse.

Le détail complet de mes lectures en 2018

Analyse des résultats

sur 213 ouvrages

J’analyserais les résultats colonne par colonne les résultats avant de livrer un comparatif de l’ensemble. Petite précision toutefois, j’ai tenté de chercher pour chaque auteur·es les différents critères de sélection, pour certains, je suis persuadé· de n’avoir fait aucune erreur (concernant le genre de l’auteur·e ou son statut de canadien·es ou d’étrangèr·es), mais l’appartenance à une minorité de sexualité, ethnique ou autochtone peut être légèrement sous-estimée.

Genre

La note moyenne des 213 ouvrages que j’ai notés (ça ne comprends pas les revues et beaucoup de livres pour enfants que je lisais au travail toutefois) est de 3,6, un peu plus haut qu’une moyenne parfaite (3) si j’avais vraiment lu des livres de toutes les qualités en proportions égales. Celles des hommes, 3,3, est légèrement plus « réaliste » à cet égard et reflète en effet bien les deux perturbateurs de données. J’ai donc évidemment lu beaucoup plus de femmes (on parlerait de 78,2% de femmes si on ôtait les collectifs et ouvrages mixtes) que d’hommes, probablement plus toutefois de ce que je pensais lire (de l’ordre de 1 H pour 4, 5 F), mais encore une fois, je peux pointer vers les perturbateurs.

Pour ce qui est des ouvrages collectifs et/ou mixtes, je ne semble pas en avoir lu beaucoup, à peine 20, et la note n’est pas si haute non plus, mais j’ai souvent tendance à ne pas pouvoir mettre des notes parfaites à des collectifs en raison souvent de la présence de textes moins parfaits (subjectivement) à d’autres, ce qui leur donne souvent une note moyenne selon mon jugement. À l’exception de Trigger Warnings: History, Theory, Context dirigé par Emily J.M. Knox et le collectif Rencontres radicales : pour des dialogues féministes décoloniaux qui obtiennent tous deux une note parfaite et la revue Mondes Secrets n°1 – Mars 1963 achetée uniquement pour la présence d’une nouvelle de Françoise d’Eaubonne (qui n’était pas non plus bonne), les notes sont vraiment plus dans la moyenne que dans les extrêmes contrairement aux textes de femmes et d’hommes qui comptent plus d’entrées dans les extrêmes.

Nationalité

J’ai été très surpris de voir que le corpus canadien ne comptait que pour 36,6% de mes lectures! La présence de Français·es et d’Américain·es dans les « classiques » que je lis à certainement joué là-dedans, mais je semble être plus porté naturellement vers des corpus étrangers malgré une très grande présence québécoise dans ma librairie. Mon appréciation de la littérature étrangère se reflète aussi beaucoup dans la note que je lui attribut qui est beaucoup plus positive (3,76) que celle des Canadien·es (3,32). La seule hypothèse que je peux émettre pour expliquer cette immense disparité en terme de jugement est que le corpus étranger étant tellement immense que les livres que je finis par me procurer sont généralement meilleurs, à mon avis, simplement parce que j’ai déjà effectué une présélection (influencée par la critique notamment). Mon corpus canadien étant souvent composé de nouveautés, je découvre souvent avant les autres la qualité d’un livre ce qui aura comme conséquence évidemment d’influencer la lecture que d’autres pourront avoir. C’est pour l’instant ma seule hypothèse, mais je pourrais certainement réfléchir à mon biais favorable à la littérature étrangère au cours de l’année.

Minorité d’identité de genre et d’orientation sexuelle

Pas trop de surprises à cet égard, je lis 13,15% d’ouvrages pouvant tomber dans cette catégorie (incluant, quand même, tout le spectre LGBPT2QIA*), un pourcentage légèrement plus élevé que celui de la population (évaluable très très grossièrement entre 5 et 12%). La note moyenne, de 4,1 m’a toutefois vraiment surpris· étant vraiment beaucoup plus haute que la moyenne et que tous les autres groupes analysés. J’avoue ne pas avoir trouvé d’explication à cet égard sinon un reflet de ma propre subjectivité et expérience. C’est un pourcentage de lecture très correct à mon avis puisque, comme précisé, je n’ai pas cherché activement les livres que je lisais cette année en fonction de mes paramètres d’analyse, mais j’aimerais viser à augmenter ce dernier un peu plus considérant mon métier.

Lorsque je sépare la nationalité dans mes résultats concernant ces minorités, il est intéressant de trouver que je lis moins d’auteur·es canadien·nes (11,54%) qu’étrangèr·es (14,07%), l’échantillon étant tellement bas toutefois qu’un seul de plus ou de moins fait remonter ou descendre les pourcentages rapidement.

Minorités ethniques et autochtones

Pour cette catégorie, considérant le grand nombre d’auteur·es étrangèr·es que j’ai lu (et qui pouvait alors fausser les données), je me suis donné une règle: ne rentre dans cette catégorie que les minorités ethniques et autochtones au sein du pays dans lequel ces auteur·es vivent en ce moment (excluant les résidences d’auteur·es évidemment). Ainsi, une écrivaine japonaise (d’origine japonaise) ne rentrera pas dans cette catégorie (ex: Moto Hagio), mais une immigrante nigériane noire aux États-Unis le sera (ex: Nnedi Okorafor). Cette catégorie étant assez complexe, j’ai tenté de me baser, toujours, sur les informations biographiques de l’auteur·e. Ainsi, une personne née dans un pays dont les parents sont immigrants, mais qui n’a jamais mentionné appartenir à une telle minorité dans un pays n’apparaîtra pas.

Je constate qu’il s’agit probablement du plus grand biais dans mes lectures: je n’ai lu que 16,43% de personnes issues de ces groupes bien que je semble apprécier leurs ouvrages un peu plus que la moyenne. Il est impossible de calculer le pourcentage de « minorités ethniques et autochtones » dans le monde vu qu’il change drastiquement d’un pays à l’autre et qu’au final, il mesure des personnes différentes dans chaque pays, j’ai donc raffiné mes recherches en séparant les minorités canadiennes des étrangères. Le pourcentage s’améliore un peu donc pour ce qui est des minorités au Canada (on passe à 17,95%), mais on est encore plus ou loin du pourcentage réel dans la population canadienne: on compte 20,3% de « minorité visible » à Montréal, 1 personne sur 5, 11% au Québec et 19,1% au Canada (source). Aux États-Unis, ce chiffre monte à 27,6%. Je vais donc beaucoup plus activement rechercher les ouvrages issus de cette communauté en 2019 ayant failli sur ce point.

Intersection de minorités?

J’ai seulement lu quatre livres qui pouvaient être qualifiés simultanément dans les deux catégories précédentes: Living a Feminist Life de Sara Ahmed, La prochaine fois, le feu de James Baldwin, We’re Still Here: An All-Trans Comics Anthology (un collectif dont une partie seulement qualifiée à ce titre, mais quand même une bonne partie donc il est inclut) et La femme que je suis devenue d’Aimée Munezero. Ces quatre livres forment 1,88% de mes lectures de 2018, un pourcentage qui tomberait dans le 1-2% de la population qui qualifierait à cet égard, mais clairement très insuffisant pour une personne qui s’intéresserait à l’intersection des luttes. Ce sera un autre critère de sélection pour l’an prochain.

Qu’est-ce que je retire de l’expérience?

Outre la remarque que j’ai encore des biais dans mes lectures, je peux remarquer que si je ne cherche pas activement, encore plus que je ne le fait en ce moment, des livres issues de telles ou telle communauté ou de tel groupe marginalisé, ces livres ne s’imposeront, malheureusement, pas à moi tous seuls. Et ce, même si je travaille dans une librairie féministe, même si nous avons des sections spécialisées dans de tels enjeux et même si je suis très sensible à ces questions.

Ce n’est pas un constat « dramatique », je réussi probablement à avoir une moyenne beaucoup plus élevée que la majorité des gens (je ne dispose toutefois pas de statistiques pour comparer), mais force est d’admettre que je peux non seulement faire mieux, mais qu’en plus, c’est un effort que je dois doubler pour simplement balancer le fait que, tout au long de ma vie (et surtout dans ma vie universitaire), j’ai lu en très très vaste majorité des hommes blancs hétéro (et cis). Je n’ai pas encore analysé le contenu de ma bibliothèque (c’est un travail encore plus long que de le faire pour une année), mais peut-être suis-je proche d’une parité en terme de genre, mais je ne suis clairement pas proche de l’être pour tous les autres angles.

Bref, il faut que je recherche activement certains ouvrages pour l’année prochaine, je vais encore ne rien noter dans mon tableau avant la fin-décembre, ne connaissant seulement ce que je dois rechercher, pour voir si j’arrive à m’améliorer, mais si l’année prochaine ça n’atteint pas les pourcentages requis, je vais devoir commencer à effectuer le travail à mon quotidien.

J’encourage, en attendant, à voir vous-même la composition de vos lectures. Je vous partage même ma base de données pour que tous les calculs se fasse automatiquement de votre côté. Entre l’entrée de données et la recherche pour savoir si vos auteur·es se qualifient ou non dans telle ou telle catégorie prend toutefois beaucoup de temps (à 200 livres, j’ai probablement mis quelques heures, mais je compte la création de la base de données et la réflexion sur les critères à analyser dedans).

Je vous souhaite de bonnes lectures diversifiées pour 2019!

À la découverte de la peintre Oei Hokusai

C’est à la suite de l’écoute d’un podcast que j’ai découvert cette fantastique peintre japonaise. Dans ce billet, je propose deux oeuvres pour la découvrir soit un film d’animation et un roman.

Oei Hokusai est avant tout connue pour être la fille du peintre Katsushika Hokusai (ou plus simplement Hokusai, notoirement connu pour avoir peint La Grande Vague de Kanagawa) avant de l’être pour son propre travail. Malheureusement devrait-on dire puisque son travail artistique est aussi époustouflant, sinon plus, que celui de son père et elle a même peint une bonne partie des oeuvres signées du « maître ». Son travail, comme sa vie, est toutefois inséparable de celui de son père, autant de par le travail et la démarche artistique que par la passion pour la peinture, le partage de la maison et des commandes ainsi que leur réaction devant la censure (bien que les deux pouvaient réagir assez différemment face à celle-ci).

L'affiche dépeint le visage d'Oei Hokusai en avant plan et en arrière plan la peinture La grande Vague d'Hokanawa, une montagne japonaise et un lit de fleur en bas

Affiche française du film Miss Hokusai

Le film, Miss Hokusai, est une adaptation du manga historique du même nom de Hinako Sugiura (dont la traduction en français devrait paraître en mars, aucune traduction en anglais n’est prévue pour le moment toutefois). L’animation dépeint quelques semaines de la vie d’Oei Hokusai, dans la relation avec son père, la relation avec les autres apprentis (dont un qui lui mecsplique comment dessiner un dragon, mais dont elle a rien à faire de son explication et attend juste qu’il ait fini avant de pouvoir continuer à dessiner), avec des courtisanes, mais aussi avec sa famille élargie dont une nièce aveugle. Évidemment, on voit aussi la relation quasi-fusionnelle qu’elle a avec la peinture et l’importance que cette dernière a dans sa vie.

Miss Hokusai est une animation magnifique au niveau des images, pas seulement de par les allusions aux peintures ici et là, mais aussi de par toute la représentation de l’invisible (important pour les peintres Hokusai), et de ce qui est vu dans l’absence de vision (littérale ou métaphorique). Plusieurs scènes à la forme onirique balance le quotidien de la peintre et lui donne une importance tout aussi important qu’aux interactions « réelle ».

Le propos est aussi définitivement engagé au niveau social et culturel et la relation avec son père et le restant de sa famille, très certainement complexe, est très joliment exploré. On passe le temps nécessaire à parler du père qui fut définitivement important à plusieurs égards dans la vie d’Oei, mais on ne s’éternise pas non plus et les scènes avec le père permettent certainement de réfléchir sur Oei et pas juste d’être là pour parler de Katsushika Hokusai.

Le roman The Ghost Brush, lui, est une fiction historique sur la peintre par l’écrivaine canadienne Katherine Govier.

Couverture du livre The Ghost Brush de Katherine Govier

Ce livre est une fiction, c’est important de le souligner, il extrapole, imagine des tonnes de dialogues, de situations, de personnages, bien qu’il est définitivement ancrée dans une réalité dépeinte au possible, que ce soit les peintures qu’Oei peignait à la place de son père, la maladie, l’immense intérêt que portait l’occident au travail d’Hokusai qui les mettaient dans une dangereuse position sociale, etc.

L’autrice imagine aussi une Oei très féministe à plusieurs égards, non seulement quand aux réactions au milieu dans lequel elle évolue, mais aussi quand elle confronte les occidentaux sur leur conception de la femme alors qu’elle discute de Shakespeare avec eux et qu’elle s’imaginait que ce dernier avait une fille qui l’aidait dans l’écriture de ses pièces. Cette idée provoque l’hilarité chez les occidentaux et ils ridiculisent l’idée qu’une femme eut pu écrire aux côtés ou même avec Shakespeare, sans jamais réaliser le travail d’Oei dans les toiles signées Hokusai. (Cette discussion est clairement inspirée par la proposition de la sœur de Shakespeare de Virginia Woolf). Autre aspect très intéressant est l’exploration des bordels par Oei qui apparaît non seulement normal, mais dont les travailleuses vont faire intégralement parti de la vie et de l’oeuvre des artistes père et filles. Je crois que ce thème d’une jeune fille qui accompagne son père dans de tels lieux (pour peindre) est définitivement soit inexistant ou alors très très peu discuté et la, relative, banalité avec laquelle la fille en bas âge lors des premières visites est certainement intéressante en soi.

Évidemment, Govier aborde d’autres aspects dont la place des femmes à l’ère Edo, la jalousie/envie/incompréhension du reste de la famille quand au métier d’Oei, sa propre mise en danger à être artiste en tant que femmes, son refus de la domesticité, etc. Une de plus belle illustration de ces descriptions se déroule alors qu’Oei se fait demander d’accompagner un amateur d’art européen à sa résidence temporaire au risque d’être perçue comme une traître par sa communauté. L’artiste doit alors déployer toutes les méthodes de politesse japonaise qu’elle connait pour refuser (mon père est celui qui fait le « vrai » travail, est-ce que ma présence est bien nécessaire, etc.) sans afficher clairement son refus; le tout en ayant aussi un débat intérieur à savoir si elle veut elle-même y aller (est-ce que la reconnaissance internationale l’intéresse vraiment ou son art n’est-il pas plus important, les deux sont-ils mutuellement exclusifs?, etc.).

Il y a quelques longueurs, je ne le nierais pas, ça m’a certainement pris plus longtemps que d’habitude à lire, mais dans son ensemble, c’est un livre fascinant qu’il était souvent dur de poser et on a tellement l’impression de rentrer un monde, tout aussi fictif soit-il, fascinant, mais historique et philosophique à sa propre manière.

L’ajout d’une postface qui parle de la découverte de Oei Hokusai par l’autrice et l’état de la recherche et de l’authentification des toiles d’Hokusai à l’époque (un peu moins d’une dizaine d’année) apporte un éclairage très intéressant sur la fiction, les théories de l’autrice, ce qu’elle a essayé de mettre en scène, mais aussi la nécessité de s’interroger sur les oeuvres des grands maîtres ce que, pour certains, semblent s’aveugler à ne pas ôter à Hokusai (père) pour ne pas « ôter de la valeur » à certaines oeuvre. À lire avant ou après, les deux éclaireront l’oeuvre différemment.

Couverture française du manga à paraître en mars 2019

Oei Hokusai est définitivement une artiste à découvrir et à séparer de l’oeuvre de son père (bien que cette séparation est très complexe, et sera aussi définitivement artificielle que la fusion, à plusieurs niveau) pour pouvoir la célébrer à juste titre. Sa contribution à l’histoire de l’art international est définitivement invisibilisée par celle de son père alors que les deux devraient nourrir les oeuvres de l’une et l’autre.

Analyse de l’essai #balancetonporc de Sandra Muller

Le mot-clic #balancetonporc en noir répété plusieurs fois sur la couverture avec un bandeau titre où il est écrit "La peur doit changer de camp". Un des mots clic est en rose plutôt qu'en noir.
Introduction

Le plaisir d’un lecture d’un essai peut, pour moi, varier en fonction non pas seulement du style d’écriture, mais aussi des thèses qui y sont présentées. Autant je peux lire un essai avec lequel je suis d’accord, mais dont le style m’ennuie ou m’endort, autant d’autres peuvent être très intéressants à lire malgré des désaccords fondamentaux. De la même manière, dans la présentation des arguments, je peux complètement rejeter un essai et ses thèses s’il les basent sur ce que je pourrais considérer de fausses prémisses, d’autres fois, je peux simplement être en désaccord avec la conclusion qui se base sur des prémisses qu’on peut partager. D’autres fois encore, il se peut tout simplement que ce soit le propos ou les sujets abordés qui ne m’intéressent pas ou encore qui m’attire. Rarement, je vais rejeter un essai basés sur ma propre idée de comment le monde est constitué, il agit, il pense; je lis justement un essai pour apprendre, confronter mon propre monde, élargir mes horizons, approfondir mes connaissances.

#balancetonporc, écrit par la journaliste Sandra Muller ayant lancé le mot-clic éponyme, est un essai dans une catégorie à part dans les essais que je ne peux pas apprécier. Je suis très accord avec les prémisses, les idées et les conclusions, le style est correct (malgré une importante dose de lampshading, j’y reviendrais), le propos est correct, je considère l’autrice comme ayant accompli un travail extraordinaire et cet essai ne me prouve certainement pas le contraire, mais… il y a clairement non seulement des préjugés, des stéréotypes et des opinions complètement sidérantes, mais on dirait qu’il y a un immense fossé entre ce que la journaliste perçois effectuer comme travail et la réalité dans laquelle s’inscrit ce même travail.

Non pas que Muller fait une bonne action pour les mauvaises raisons. Au contraire, elle effectue définitivement un immense travail, pour les bonnes raisons, le texte nous le laisse entendre, mais ce travail est fait dans l’ignorance complète de ce qui l’a précédée, de ce qui se fait, des luttes des autres et de ce qu’elles signifient (quitte à les mésinterpréter et à les accuser à torts et à travers continuellement). Elle ne s’en cache d’ailleurs pas : elle écrit avoir littéralement « lancé un mouvement féministe » (p.88) toute seule bien qu’elle rejette viscéralement l’appellation de féministe (j’y reviendrais). Le tout en ignorant ou minimisant tout ce qui l’a précédé et l’accompagne, #metoo étant probablement le plus notable. Lire cet essai avec une idée de la lutte féministe en arrière-plan et son rejet total était excessivement frustrant. Je ne sais pas à qui s’adresse cet essai à part aux Raphaël Enthoven de ce monde (des hommes qui se disent pro-féministes, mais qui n’hésite pas à interrompre les femmes et à leur mecspliquer leurs luttes) et aux femmes et hommes profondément antiféministes qui auraient besoin de comprendre un peu pourquoi les femmes dénoncent leurs agresseurs et ne sont pas des victimes (ça ne réglera pas du tout leur antiféminisme ou leur misogynie, mais au moins, ces personnes ne devraient pas détester ce livre et le lire jusqu’au bout).

Résumé

Avant de plonger dans la critique, je me permets un résumé. #balancetonporc de Sandra Muller retrace la genèse du mot-clic que la journaliste française, vivant aux États-Unis depuis plusieurs années, a créé en réaction notamment à l’affaire Weinstein, mais aussi à ses expériences passées avec des agresseurs. À travers l’essai, on a droit, surtout dans les premiers chapitres, à une espèce d’archive des premières discussions, des partages, des réactions, des commentaires, des retweets, etc. du mot-clic ramassées de manières presque compulsives (on sent quand même énormément le genre de personne qui passe beaucoup, beaucoup de temps sur les réseaux sociaux et ce, même avant la création de #balancetonporc). Cette partie est certainement intéressante puisqu’elle me fait questionner la place de l’archivage inexistant des gazouillis et comment on fait pour en parler. Il y a remise en contexte dans le livre, la journaliste parle autant des réactions au gazouillis initial que de gazouillis supprimés, de messages Twitter privés, de conversations hors numériques sur le numérique, etc. qui sont souvent très difficiles à bien cerner. Elle tente aussi de chiffrer l’importance du mot-clic à l’aide d’organismes qui suivent et recensent les chiffres et l’impact de ceux-ci. Puisqu’on parle souvent de chiffres dans les millions, on est souvent un peu largué, et bien qu’on le compare brièvement à d’autres mots-clic pour donner une idée du phénomène, on a une belle impression de la quantité, mais pas vraiment de la « qualité » des mots-clic (est-ce vraiment là tous des témoignages, ou y a-t-il des supports, des critiques, etc.?). Bref, la partie plus critique historique est intéressante, mais aurait bénéficiée de quelques éclaircissements et peut-être de meilleures analyses.

L’essai ne se concentre toutefois pas seulement là-dessus et tombe beaucoup plus dans le mémoire et le témoignage que dans l’essai érudit ou le travail d’archive. Dans un récit déchronologique qui invite souvent les répétitions dû à ce type de narration, la journaliste raconte son immense investissement en temps après la création du mot-clic, que ce soit dans les réponses aux commentaires, aux centaines d’entrevues auxquelles elle répondait (peu importe le pays), aux alliances avec les autres survivantes avec qui elles correspondaient, avec les personnes qu’elles tentaient de convaincre de l’importance du mouvement, parfois avec succès, parfois sans. Elle parle aussi de son métier et de sa vie, mais dans une plus moindre mesure, et surtout pour mentionner qu’avec tout le temps qu’elle mettait dans la cause, ses fins de mois étaient parfois difficiles (sans compter qu’elle payait plus souvent qu’autrement les avions afin de discuter du sujet en France ou aux États-Unis et que ses frais n’étaient donc pas défrayés, elle mettait du temps, souvent le soir, bénévole pour venir en aide aux victimes).

L’essai passe aussi beaucoup de temps à parler des autres acteurs et actrices (dans les deux sens du terme parfois) qui mettaient la main à la pâte pour fonder des associations, des regroupements, couvrir le sujet, venir en aide aux victimes, tenter de convaincre des personnes en pouvoir, ou encore déjouer des complots ourdis par des avocats qui tentaient de piéger des victimes d’agression! En lisant cet essai, j’ai certainement approfondis énormément mes connaissances concernant le vedettariat et qui étaient les victimes de certains agresseurs ou agresseuses. Muller semble déterminée à parler des hommes ET des femmes tout en reconnaissant que les femmes sont majoritairement victimes de ceux-ci; elle mentionne même avoir lancé le mot-clic #balancetaporcine, mais réalisa rapidement que ça ne porte pas les fruits escomptés.

Ceci étant résumé, on peut se demander alors pourquoi je ne suis pas capable d’aimer un essai qui semble balancé, intéressant et certainement pertinent dans le contexte actuel? Pour plusieurs raisons, mais la première est une impression de lecture qui peut paraître superficielle donc je l’aborde tout de suite pour mieux passer à la suite des choses.

Classe, lampshading et préjugés

Malgré de nombreux passages sur le relativement peu de moyens financiers que Muller possède, passages certainement surjoués par l’essayiste (quand tu peux te payer des billets d’avions et que ça fait juste en sorte que tes fins de mois sont difficiles, tu es définitivement très loin d’être pauvre), elle semble définitivement faire partie d’une espèce d’élite bourgeois et artistique hollywoodienne. En plus de pouvoir investir les espaces artistiques, les fêtes, et autres lieux du vedettariat, pas seulement en tant que journaliste, elle ne cesse de faire référence à certaines autres actrices et journalistes comme à ses ami·es et de proches connaissance. C’est certainement un peu frustrant de l’entendre se plaindre d’un manque de moyens pour voyager d’un pays à l’autre, mais ce n’est définitivement pas si problématique que ça (au pire, elle apparaît comme très élitiste ou inconsciente de ses privilèges). Les problèmes commencent à remonter quand elle témoigne de son agression verbale dans un party et de sa réaction face à celle-ci :

« Comment ose-t-il? Comment ose-t-il me parler ainsi, à moi qui ai repris un journal toute seule, […] qui dois diriger une équipe d’auteurs, un comptable, un webmanager, un community manager? À moi qui me lève à 7 heures le matin pour accompagner mes enfants à l’école et qui me couche parfois vers 3 heures du matin, épuisée de relire et corriger à l’envi un de mes articles litigieux par crainte d’un procès. [la liste continue] » (p.39). Évidemment, personne ne contrôle ses réactions face à une agression, aussi classiste soient-elles, et c’est définitivement très honnête et courageux de sa part de sa mettre à découvert comme ça. Cependant, tout l’argumentaire de pourquoi c’est scandaleux de recevoir de tels propos est basé sur le fait qu’elle n’est pas « inférieur » à son agresseur.

C’est là qu’entre en scène le lampshading, c’est-à-dire, une réponse à la critique avant même qu’elle ne se manifeste pour pouvoir s’innocenter de la critique. Par exemple, une personne qui voudrait insulter un groupe tout en se dédouanant parce qu’elle sait qu’elle va se le faire reprocher, elle pourrait dire par exemple : « Je ne suis pas raciste, mais [insérez le préjugé] », cela n’ôte pas du tout la charge raciste d’un propos, ça tente juste de le désamorcer en amont. C’est exactement ce que l’autrice va faire après avoir témoigné de sa réaction (je souligne) : « Non pas que son comportement serait plus supportable si j’étais chômeuse ou caissière, mais qu’il agisse ainsi avec une collaboratrice, dont il devrait pouvoir imaginer à la fois l’investissement professionnel et l’implication humaine dans son job me sidère […] » (p.40).

Encore une fois, il s’agit d’une impression de lecture, peut-être vague, probablement même très dure pour une agression dont elle ne peut pas mesurer la réaction, je le note toutefois parce qu’à plusieurs autres moments, elle utilisera le lampshading pour se prémunir d’attaques contre ses raccourcis argumentatifs et ses préjugés.

La propagande antiféministe de l’essai

Le gros de ma critique s’adresse toutefois à son rejet unilatérale du féminisme tout en, très paradoxalement, essayant de démontrer comment elle a réussi à elle seule à faire avancer la cause des femmes à pas de géante.

Tout d’abord, elle construit une caricature du féminisme tellement grossière, caricaturale et détachée de la réalité qu’on se demande comment son éditeur a laissé passer ça :

« j’ai toujours été contre la guerre des sexes. […] Je ne supporte pas plus qu’on m’affuble du terme de féministe, car pour moi il a participé à construire des armées de familles monoparentales comme la mienne » (p.46)

plus loin :

« Durant toute mon adolescence, ma mère m’a seriné : « Regarde où a conduit mai 1968. On doit se débrouiller seules, on est incapables d’avoir des salaires égaux à tâches égales, les hommes ne trouvent plus leur place à nos côtés et on les fait fuir. » » (p.46)

C’est tellement ridicule et grossier comme affirmation qu’on ne sait même pas par où commencer. Que le manque d’hommes dans sa vie dont elle se plaint (à plusieurs reprises) soit causé par le féminisme est non seulement mensonger, mais elle sert à bâtir une figure de bouc-émissaire. La journaliste n’explique évidemment jamais comment sa mère l’a eu comme enfant si les hommes la fuit et pourquoi elle n’a pas de père présentement, pas qu’elle a à l’expliquer, mais si sa mère était aussi antiféministe ou aussi anti-gauchiste que ça, on se demande vraiment ce qui aurait faire disparaître le père ou d’éventuels conjoints (ou comment se fait-il qu’il y a encore des mariages et des couples hétérosexuels, on se le demande). La journaliste décide donc de construire un féminisme bouc-émissaire de ce qui ne lui plaît pas dans sa vie. Peut-être y a-t-il une raison que l’on nous explique pas derrière, mais à quoi bon mettre de telles affirmations calomnieuses dans un essai si c’est pour simplement les lancer sans raison?

Son rapport avec le féminisme et la justification de la présence des hommes dans les luttes des femmes ne s’arrête pas là évidemment, elle prend souvent de très longs détours pour montrer comment certains hommes sont les meilleures personnes du monde quand vient le temps d’aider les victimes d’agressions sexuelles, des passages certainement plus longs que ceux consacrés aux femmes (dont elle n’hésite pas à soulever les problèmes à plusieurs reprises contrairement aux hommes), ou des passages certainement pas mérité comme celui réservé à Raphaël Enthoven dont elle se félicite de l’avoir convaincu de trouver la nécessité du mot-clic après des heures et des jours de conversation écrites et orales1.

Son dédain du féminisme ne l’empêche toutefois pas de se revendiquer du mouvement et de s’en faire créatrice :

« Sept mois après avoir personnellement lancé un mouvement féministe, je trouve enfin un terme qui me convient. Je souhaite défendre toutes les victimes, sans notion de couleur ni de classe social » (p.88) écrit-elle après avoir résumé, très grossièrement et s’appropriant le Black Feminism comme une analyse intersectionnelle (ce qu’elle peut être, mais elle confond les deux termes) « créée par les femmes noires, pour faire face au racisme du féminisme blanc et au sexisme du mouvement noir. » (p.88).

Tout d’abord, il est bon de préciser que Muller n’est pas noire, se revendiquer du féminisme noir semble donc à priori aberrant. Imaginons toutefois qu’elle dit juste vouloir s’inspirer de ses théories alors, et de l’intersectionnalité puisqu’elle aurait simplement entendu le terme et n’aurait pas vraiment fait des recherches approfondies à ce sujet (ce qui est un problème en soi, mais passons). Même avec cet effort d’imagination, on voit très mal en quoi elle s’adresse au racisme des féministes blanches (nul part elle ne parle de racisme ou d’oppressions des femmes noires sinon une très brève mention de son support aux droits civils, sans exemple, à la page 46) et encore moins du sexisme du mouvement noir (aucune trace).

Intersectionnalité alors? Si on exclue son classisme flagrant, sa vie de bourgeoise, les seules personnes qu’elle évoque sont blanches, aucune lesbienne (à notre connaissance), à peine fait-elle mention de la fondatrice originelle de #metoo qui elle est noire (mouvement dont elle ne cesse d’ailleurs de minimiser l’importance, y privilégiant le sien comme véritable déclencheur international, ça et le #bebrave de sa « bonne amie »). L’intersectionnalité demanderait un travail sur les oppressions cumulées, une approche basée sur la reconnaissance du travail, de comment le harcèlement, la violence et les agressions affecte de manière disproportionnelle les femmes noires, racisées, handicapées, etc. l’importance du militantisme (et pas seulement de la théorie) et de l’impact sur les personnes les plus marginalisées, mais rien là-dessus non plus. Elle parle des grandes artistes et actrices qui en sont victimes, elle évoque que oui tout le monde peut utiliser le mot-clic et évoque, très très brièvement le procès de DSK, mais ça s’arrête là. On repassera donc pour l’intersectionnalité de l’approche. Nous n’aurons évidemment rien non plus sur le point de vue situé, le racisme, les structures pouvoir oppressantes, etc. chères au féminisme noir.

La seule véritable action concrète en faveur de toutes les femmes, mise à part le mot-clic, est vraiment l’aide à la mise sur pied d’une association de lutte contre le harcèlement et les agressions sexuelles qui donne des ressources contre ce phénomène, mais elle n’en parle pas tant et préfère parler de comment les milieux communautaires sont toxiques et se battent entres eux sans en évoquer des causes [manque de fonds donc elles sont obligés de compétitionner pour les obtenir] et privilégiant l’explication de son dédain pour les associations.

La dernière pièce de propagande contre le féminisme est l’utilisation de l’horrible tribune antiféministe, misogyne et manipulatrice publiée dans Le Monde en réaction à #metoo. L’essayiste s’en indigne à juste titre et passe plusieurs pages à démonter leur argumentaire et même à les accuser de chercher à se faire du capital politique et culturel sur le dos des agressions. On pourrait donc penser, « ah! Voilà une chose sur laquelle on est fondamentalement d’accord », et je le suis, mais elle associe directement cette tribune à des féministes (!) :
« Déjà pas disposée à l’utiliser, je rejetterai le terme « féminisme », en réaction à cette prose nauséabonde puisque le mot peut être associé à ces signataires. » (p.146). Tout ça parce que Catherine Deneuve avait signé le manifeste des 343 à l’époque et que dans la tête de l’essayiste, signer le manifeste contre l’avortement en 1971 = féminisme (ce qui est déjà une généralisation grossière, les signataires du manifeste avait justement évité un tel vocabulaire à l’époque par éviter l’amalgame) et que (nécessairement) féministe en 1971, Deneuve l’est encore aujourd’hui, et que par extension toutes les femmes ayant signé la tribune le sont.

C’est un mensonge digne d’un argumentaire de propagande tout simplement. C’est créer un épouvantail pour servir ses propres intérêts. C’est non seulement mensonger, et pour une fois que les féministes à travers le monde étaient d’accord sur une chose (que cette tribune n’avait pas sa raison d’être et était profondément contre les femmes), mais Muller vient tout de même forcer une connexion entre deux choses on ne peut plus à l’opposé de l’une et l’autre ensemble. Je ne croyais honnêtement pas ça possible (surtout que le passage est écrit après s’être revendiquée du Black Feminism…). C’est là que je pense que son autrice a définitivement une thèse à défendre : une qui la propulse en avant des autres tout en écrasant toutes les femmes, toutes les luttes qui l’ont précédée, pour privilégier son combat, son mot-clic, celui de ses ami·es et connaissances dont elle fait 100 fois l’éloge. Son aveuglement n’a de limite que l’arrogance avec laquelle elle se fait l’héroïne d’une lutte millénaire qui l’a précédée et l’a menée où elle est en ce moment. Je suis sincèrement dans l’incapacité de comprendre comment une personne qui parle d’agressions sexuelles, de harcèlements, de ressources, etc. soit incapable non seulement de reconnaître le travail des centres et refuges de femmes (qu’elle ne mentionne jamais), mais le combat qui se poursuit en amont, en aval et en parallèle à son travail. Plutôt que de s’inscrire dans une continuité, elle crée une coupure complètement imaginaire et une dissonance cognitive complète en effaçant les contributions des autres femmes pour la montrer comme presque la seule, elle et son réseau, qui peut accomplir un tel travail. Sa fondation d’une énième association de défense contre les agressions plutôt que de bonifier celles déjà existantes et qui accomplissent un travail déjà magistral avec peu de moyens en est un parfait exemple. Ce n’est d’ailleurs, peut-être pas, un hasard qu’elle ne détaillera jamais vraiment les actions que cette association entreprendra (juridique, financière, sensibilisation, etc.?) ni qui elle vise (elle mentionne elle-même la difficulté de savoir qui aider en premier).

Ces autres passages étranges

Il y a évidemment plein d’autres passages bizarres, comme celui, sorti vraiment de nul part, où elle mentionne que « La liberté d’expression est le fondement de notre société » (p.80) sans, on dirait, avoir conscience que c’est justement cette liberté d’expression dont se revendique les signataires de la tribune dans Le Monde ou encore les nombreux harceleurs. C’est juste laissé là comme une vérité universelle sans développement ni rien.

Un autre passage encore où elle parle de Cannes, Muller se plaint avec raison de l’absence de certaines personnes concernées dans les discussions durant le festival, de comment elle a peur que Cannes ne fasse que capitaliser sur le mouvement sans effectuer de geste concret, mais de conclure ainsi sa réflexion :

« Pourtant, si je jette un œil critique sur le Festival de Canne 2018, le bilan n’est finalement pas si négatif et la nouvelle équipe a bien travaillé : Pierre Lescure, son président, a tenté de départir Cannes de son image sulfureuse. » (p.206). Tout ça donc pour redorer son image? Qu’en est-il des réflexions de fonds, des changements de structure, des réels changements ou des projets de changement tout court?

Tout au long du texte, elle ne cesse pas non plus d’écrire « les hommes, les femmes, les trans » comme s’il s’agissait d’un troisième genre plutôt que de simplement les hommes ou les femmes et de préciser cis ou trans. Pas que la précision sur les personnes trans soient réellement effective puisqu’il s’agit d’une autre absence de l’essai, l’énumération est là simplement pour tenter de les inclure, complètement de travers, ce qui montre qu’elle ne sait pas vraiment de quoi elle parle encore une fois. C’est, très probablement, un ajout de dernière minute pour donner un vernis d’inclusion.

Brève conclusion

On pourrait malheureusement continuer longuement à soulever les aberrations de l’essai qui pourtant, à tellement d’égard est prometteur et pertinent, sans compter son aspect un peu archivistique sur la genèse du mot-clic! Je n’en tire malheureusement qu’un constat d’échec, non pas du mouvement, mais de l’auteure à pouvoir faire la part des choses, à réfléchir sur les enjeux de pouvoir qui la traverse, à effacer les luttes, à créer des épouvantails (et pas seulement des agresseurs), à s’enfoncer dans des stéréotypes sans fin (je n’ai même pas mentionné comment elle caricature les États-Unis et la France sans nuances au point où on croit lire les théories de déterminismes nationaux du 18ème siècle!) et à s’enfoncer dans une tour d’ivoire aux briques de vedettes et au ciment d’autocongratulations qui peuvent certainement être méritées, mais elle n’a pas fondé un mouvement, le mouvement le précède et l’accompagne, mais ça, elle n’a pas été capable de le réaliser.

Notes

1 Grossièrement, le pro-féministe Enthoven doit se faire convaincre pendant des mois de la nécessité du mouvement, épuisant les ressources et le temps des femmes qui doivent effectuer le labeur de l’instruire (alors qu’il existe pas mal de livres sur le sujet et qu’il aurait pu les consulter de lui-même puisqu’il devrait savoir comment faire une telle recherche). C’est, dans les faits, une tactique antiféministe bien implantée que de faire perdre le temps des femmes de cette manière quand tu connais très bien les enjeux et la nécessité, ce dont je sais très bien Enthoven capable de faire. On ne s’étonnera pas, après ses nombreuses interventions, qu’il s’agit d’un masculiniste trollant les féministes en se faisant ami-ami avec des personnalités bien en vue. J’attends une telle révélation dans moins de 3 ans.

Répartition F/H des doctorats honoris causa décernés par l’UdeM depuis 1920 (rapport 2018)

Répartition des doctorats honoris cause en fonction du genre (1920-2018) Cliquez pour agrandir

De 1920 à 2018, 1060 doctorats honoris causa (dhc) ont été remis par l’Université de Montréal à des personnalités de tous les milieux. En constatant une «relative» absence des femmes en 2013 (2 femmes en ont reçu un par rapport à 10 hommes), j’ai décidé d’approfondir la question et de voir si il y avait vraiment une discrimination dans l’attribution des diplômes. Ce quatrième billet sur la question est une mise à jour annuel du premier billet.

Comme toujours, les bases de données que j’ai montées pour effectuer cette recherche sont disponibles pour consultation, vérification, diffusion, reproduction et pour d’autres recherches si vous voulez (mais merci de me citer comme auteur·)

Note sur 2018

La recherche cette année fut légèrement plus complexe que les années précédentes puisque le site Internet n’est plus vraiment à jour (les récipiendaires de 2017 ne sont même pas encore tous là!), tous les dhc ne sont pas référencés au même endroit dans les nouvelles de l’UdeM contrairement aux années précédentes où tous les dhc étaient regroupés par session (donc deux articles) plutôt qu’aujourd’hui où, des fois, ils sont groupés ensemble, des fois non et d’autres fois, ils sont répétés dans plusieurs articles.

Résultats

Voici donc les résultats auxquels je suis arrivé. Des 1060 dhc remis, 945 ont été attribué à des hommes et 115 à des femmes. Au cours des 10 dernières années, 127 dhc ont été remis: 94 à des hommes, 33 à des femmes.

Pour remettre ça en perspective, depuis 1920, il y a une moyenne de 9,5 dhc de remis à des hommes par année et 1,2 dhc/année remis à des femmes. Bref, 10,8% de tous les dhc! Par rapport à l’année dernière, la moyenne totale des diplômes décernée aux femmes a augmenté de 0,2%!

Au cours des 10 dernières années, cela monte à 9,4 pour les hommes et 3,3 pour les femmes. Il s’agit là de 26% de tous les dhc. Encore par rapport à l’année dernière, cette moyenne a augmenté de 2,4% pour les femmes.

La médiane depuis 1920 est toujours de 8 pour les hommes et 1 pour les femmes. Au cours des 10 dernières années, elle est de l’ordre de 9,5 pour les hommes et 3 pour les femmes. Ces médianes restent inchangées depuis 1920, mais a diminué de 0,5 pour les hommes par rapport à l’année dernière de nouveau dû au faible nombre de doctorat honoris causa décernés cette année (tendance de plus en plus remarquée sous le rectorat de Guy Breton).

2018

Cette année fut la première année paritaire depuis 1983!

Quatre femmes (Julie Payette, Françoise David, Diana L. Eck et Michèle Audette) et quatre hommes (Louis Audet, Pierre Boucher, Jean Rochon et Marc Lalonde) ont reçu un dhc.

Cela inclut un dhc décerné à Michèle Audette (une métisse Innue qui fut présidente de Femmes autochtones du Québec).

Dans l’histoire

Plusieurs faits intéressants, et historiques, ont été observés dans le premier billet sur la question. Nous avons mis à jour quelques-uns d’entres-eux:

  • Le premier doctorat honoris causa remis à une femme le fut à «Mme L.-de-G. Beaubien» en 1931.
  • Une seule année comporte plus de femmes que d’hommes. Il s’agit de l’an 1942 avec 2 femmes et 1 homme.
  • Seules 2 années furent paritaires: 1983 avec 2 femmes et 2 hommes et cette année (2018) avec 4 femmes et 4 hommes.
  • Le maximum de dhc décernés à des femmes pendant une année fut de 6 (en 2007 et 2009). Pour les hommes, ça s’élève à 47.
  • À l’exception des années paritaires (1983 et 2018) et de 1942, les femmes n’ont JAMAIS constitué plus du tiers des doctorantes honorifiques. Seules 11 années comportent plus du quart des doctorants, mais quatre dans les 10 dernières années (2018, 2014, 2012, 2009, 1997, 1994, 1990, 1983, 1942, 1932).
  • La plus longue période sans remise de dhc à une femme, à l’exception des onze années avant 1931, fut de 6 ans (de 1969 à 1974).
  • Si on joue au petit jeu de sous quel recteur ont a attribué le plus haut pourcentage de dhc aux femmes, on obtient:
    – Guy Breton (2010 – ) 26% (27 dhc remis à des femmes)
    – Luc Vinet (2005 – 2010) 23,2% (26 dhc remis à des femmes)
    – René Simard (1993 – 1998) 16,9% (13 dhc remis à des femmes)
    – Gilles G. Cloutier (1985 – 1993) 15,3% (13 dhc remis à des femmes)
    – Paul Lacoste (1975 – 1985) 14,3% (8 dhc remis à des femmes)
    – Robert Lacroix (1998 – 2005) 11,3% (13 dhc remis à des femmes)
    – Mgr André-Vincent-Joseph Piette (1923 – 1934) 6% (4 dhc remis à des femmes)
    – Mgr Olivier Maurault (1934 – 1955) 5,2% (19 dhc remis à des femmes)
    – Roger Gaudry (1965 – 1975) 3,5% (2 dhc remis à des femmes)
    – Mgr Irénée Lussier (1955 – 1965) 1,7% (2 dhc remis à des femmes)
    – Mgr Georges Gauthier (1920 – 1923) 0% (aucun dhc remis à des femmes)
    Les résultats ne valent pas grand chose cependant puisqu’une même année est reprise pour deux recteurs et que ce ne sont pas nécessairement eux qui décident de tous les dhc (il s’agit d’un comité créé par le conseil de l’université).

Et les autres universités?

Le collectif opposé au sexisme à l’UQÀM a effectué un travail similaire le 30 octobre 2017 est arrivé à la conclusion que 20,3% des dhc des 25 dernières années ont été décernés à des femmes. C’est un pourcentage très légèrement plus élevé que celui de l’UdeM (à 19,6% dans les 25 dernières années). Nous attendons avec impatience les résultats dans d’autres universités!

Critiques intersectionnelles

Le genre n’est pas le seul critère de discrimination, l’ethnie, l’orientation sexuelle, la classe, etc. devrait aussi pouvoir être prise en compte dans une analyse qui pourrait être plus intersectionnelle. Bien que ces critères nous tiennent à cœur, nous n’avons pas les ressources nécessaires (temps, accès à des données approfondis sur les honoris causa) pour effectuer cette recherche.

Nous avons cependant pu observé que depuis 2009, grâce aux photos et aux biographies des récipiendaires (ainsi que quelques recherches en ligne), seul·es une femme des Premières nations, deux Innus, une femme noire, une Afghane et une Colombienne ont reçu des dhc, trois hommes chinois aussi. Ces attributions marquent bien les liens que l’UdeM tentent de tisser avec les universités chinoises depuis quelques années, mais aussi certains événements politiques internationaux comme la remise d’un dhc à Ingrid Bettancourt quelques mois après sa libération. Ces 9 personnes non-blanches (sur 127 dhc donc 7%!!) représentent difficilement cependant les pourcentages des minorités visibles au Canada (qui représentent 19,1% de la population canadienne) à l’exception des Chinois qui représentent 4% de la population canadienne. Considérant que les dhc sont quand même décernés à des personnalités de partout à travers la planète (mais plus souvent à des Américains et des Français), bien qu’un grand nombre de Canadiens et de Québécois s’y retrouvent, cette représentation est, dans les faits, encore plus minuscule.

Cette année, un dhc a été décerné à Michèle Audette (une métisse Innue qui fut présidente de Femmes autochtones du Québec).

Conclusions

Bref, avec, pour la première fois de l’histoire de l’UdeM un peu plus du quart des dhc ayant été remis à des femmes dans les 10 dernières années et jamais plus du tiers à aucun moment de l’histoire de l’UdeM (sauf durant trois années exceptionnelles), on peut conclure à une discrimination dans l’octroi des doctorats honorifiques et ce malgré les légères augmentations d’un recteur à l’autre bien que cette année, pour la première fois, on atteint la parité pour l’année 2018.

Les personnes de couleur et autochtones restent cependant toujours largement sous-représentées avec une seule personne autochtone cette année ayant reçu un dhc.

Sources

L’UdeM décerne un doctorat honorifique à Diana L. Eck, 7 février 2018
L’Université de Montréal décernera des doctorats honorifiques à cinq personnalités inspirantes, 22 mai 2018
Michèle Audette est honorée par l’Université de Montréal, 29 août 2018
L’Université de Montréal décerne un doctorat honorifique à Marc Lalonde, 11 octobre 2018

Liste chronologique des doctorats honoris causa de l’UdeM (1920-2013)
Liste des doctorats honoris causa avec photo (2009-2017)

Ce qu’un opéra de 1913 aurait pu nous apprendre sur Kanata

Avant-propos

Dans ce billet, je décide de me tourner vers le passé pour connaître les intentions derrière le processus de création artistique, de la diffusion, des représentations et de la réception d’un opéra de 1913 qui pourrait partager certaines similarité avec Kanata pour informer la discussion présente et en dégager des similarités.

Le dialogue semble désormais s’engager entre certains artistes, mais les accusations de censure et de dictature continuent de fuser à travers les journaux et les réseaux sociaux autour des questions de représentation(s) de deux spectacles (SLĀV et Kanata). Les discussions médiatiques, d’après ma recension, vont souvent dans un sens ou dans un autre sans véritablement reconnaître la position de l’autre et tournent beaucoup autour de la question et du besoin de représentation(s) d’un côté et de la liberté d’expression (artistique) totale de l’autre. Une chose est certaine: l’art change (sa conception, sa réalisation et sa réception) et des visions concurrentes sur l’art s’affrontent (est-il intrinsèquement politique ou non? Quelles sont ses limites? Peut-il vraiment être imperméable aux critiques durant sa création? Peut-on critiquer une oeuvre sans l’avoir vu? etc.)

J’aimerais bien pouvoir résumer simplement ma pensée et ma perception du débat en mentionnant d’entrée de jeu que la liberté d’expression n’est réellement le privilège que de certaines personnes (ce billet permet bien cette visualisation en affichant le visage quasi-unanimement blancs des chroniqueurs et chroniqueuses qui se sont exprimées sur le sujet, accessoirement, lire aussi la chronique de Fabrice Vil) et que la représentation ainsi que des politiques adéquates sont donc primordiales pour permettre cette liberté. L’autre manière de penser évoque la représentation comme accessoire à la liberté d’expression. Soit, mais qu’est-ce que cette pensée règle comme problème sinon de s’enfermer dans un daltonisme des couleurs qui reproduisent et renforcent les inégalités plutôt que de les adresser directement? Je sais que plusieurs refusent de voir l’art comme politique, à mon grand étonnement, mais je laisse ces propositions et mon opinion en suspend (quoique toujours présentes, je ne prétend nullement à l’objectivité totale) pour passer au vif du sujet: un opéra qui est un peu tombé dans l’oubli depuis 1938.

Couverture du livre regroupant l'opéra ainsi que des poèmes et des contes sioux

Couverture d’une édition des textes de Zitkala-Ša par P. Jane Hafen regroupant l’opéra ainsi que des poèmes et des contes sioux transposés à l’écrit.

The Sun Dance Opera (1913) de Zitkala-Ša

Zitkala-Ša (1876-1938) est une Sioux de la tribu Yankton du Dakota du Sud internée dans une école mormone dès l’âge de 8 ans et forcée de se défaire de sa langue d’origine dans un but avoué d’assimilation des autochtones. Elle est à l’origine du libretto et de l’idée du Sun Dance Opera. Le compositeur de la musique est William F. Hanson, j’en dirais davantage sur lui plus loin. Cet opéra est considéré comme le premier opéra d’une personne issue des Premières Nations. Sa première représentation a eu lieu en 1913, l’année de sa création, en Utah, puis périodiquement par des troupes avant d’être joué par la New York Light Opera Guild en 1938. Après cette date, je n’ai pas trouvé d’autres représentations de la pièce.

Je précise tout de suite qu’une grande partie de la recherche provient de l’édition de Dreams and Thunder; Stories, Poems and The Sun Dance Opera de Zitkala-Ša brillamment édité et commenté par P. Jane Hafen ainsi que de son article A Cultural Duet Zitkala Ša And The Sun Dance Opera (automne 1998). Toutes les citations et sources que j’utilise à profusion viennent donc d’elle et de son imposant travail; les analyses supplémentaires sont de moi.

The Sun Dance Opera est un opéra assez classique dans sa forme et ses thèmes (au point même d’exotiser la culture sioux comme le font de nombreux opéras): le protagoniste Ohiya essaie de conquérir le cœur de Winona. Sweet Singer (un rival de la même tribu) tente aussi d’épouser Winona en dressant des obstacles sur le chemin du protagoniste; Ohiya est cependant aidé par plusieurs adjuvants dans sa « quête ». L’« affrontement » final a lieu lors du Sun Dance (la danse du soleil) où Ohiya ne doit pas montrer de signe de faiblesse (qui serait causé par la chaleur) durant le chant sinon, il perd sa bien-aimée au profit de Sweet Singer. Évidemment, il ne fléchit pas et lui et Winona pourront vivre ensemble à la fin de la pièce.

Le libretto de l’opéra ne compte que 20 pages (à titre de comparaison : Carmen de George Bizet, seul autre libretto que j’ai sous la main, en compte une quarantaine), mais le faible nombre de répliques n’est pas indicatif de la longueur de l’opéra puisque de nombreux moments ne sont pas scriptés. En effet, comme le souligne Hafen, «many ensemble pieces are unscored, allowing the Native participants to sing their traditional songs». Outre les nombreuses répliques qui se répètent naturellement à l’intérieur d’un air, plusieurs chants et danses dans les actes II, IV et V laissent naturellement place à la création des Sioux : on note trois «Sun Dance» vers la fin et une «War Dance» dans l’acte II (on note aussi une «Squaw Dance» («Circle Dance») au début de l’acte deux, mais ce n’est pas une danse sioux). N’ayant pas accès à la partition musicale, sur microfilm, se trouvant uniquement dans deux bibliothèques aux États-Unis, je ne la commenterais pas.

Hafen décrit les motivations artistiques des deux artistes derrière l’opéra comme suit dans son édition de l’opéra : « The motivations behind the composition and performances of The Sun Dance Opera are complex and layered in Hanson’s colonial admiration for American Indians and Bonnin’s desires to validate her own cultural heritage. Hanson want on to claim the opera as his own. […] There is no record that she had any association with the opera when it was revived [in 1938]. » L’interprétation que Hafen privilégie pour la création de l’opéra par Zitkala-Ša est donc, entre-autre, motivée par son désir de valoriser son héritage (les chants et traditions sioux) à travers une des formes culturelles les plus valorisées par les colonisateurs américains soit l’opéra. La mise à l’écrit de contes oraux dans une perspective de transmission à un plus large public ainsi que la rédaction de nombreux poèmes de facture assez classique, mais avec des thématiques sioux qui constituent le reste de son œuvre confirment bien cette volonté de concilier son héritage sioux avec son éducation occidentale (qui rappelons-le, lui a été imposé). Des quelques rares articles sur l’opéra par les Premières Nations que j’ai pu lire (sur Internet), le mélange d’opéra et de participation musicale des autochtones serait excessivement rare dans le paysage musical, voir unique en son genre (très certainement le cas au XXe siècle). Son écriture par une personne autochtone le serait encore plus ce qui rend cet opéra doublement unique en son genre.

Dans son article, Hafen précise sa propre réaction face à la volonté de Zitkala-Ša de légitimer les traditions sioux à travers l’opéra :« As a Native women and academic, I recognize there are some indigenous scholars who would dismiss Gertrude [le nom imposé par les mormons à l’auteure est Gertrude Simmons Bonnin] and The Sun Dance Opera, in particular, as a ridiculous expression of tribal traditions. I agree that there are a multitude of problems inherent in the opera and in Gertrude’s participation. » Elle nuance toutefois : « Gertrude combated prejudice on fundamental levels and she responded by declaring the significance of Native cultures. It may have been beyond her imagination to consider that, in addition to the direct attempts to deprive Native peoples of their rights, there would be those who would patronizingly rob through imitation the sacred rituals, as well. The Sun Dance Opera allowed Gertrude to assert the value of her own beliefs without apparent consequence. It is also a brief representation in the whole of her creative literary and political life. » (je vous invite à lire un peu sur son immense implication politique pour plus de détails).

Qu’est-ce que ces remarques peuvent nous apprendre sur le spectacle Kanata? Tout d’abord, que même une Sioux dépossédée de sa culture, si elle désire mettre en scène son héritage, fait déjà face à une forte critique qui l’accusera d’occidentaliser les traditions culturelles et religieuses de sa nation. Cela, même fait dans les meilleurs intentions du monde. Ce que j’apprécie beaucoup dans l’opéra de Zitkala-Ša est la large part aux traditions sioux qu’elle met en scène dans la trame narrative principale, tout en laissant aussi une large part d’« improvisation » à travers des scènes qui pouvaient être jouées par les Sioux sans intervention de la part du compositeur ou d’un·e metteur·e en scène qui peut changer d’une série de représentation à l’autre. Elle permet ainsi aux personnes concernées de s’exprimer sans concession culturelle ou religieuse aux producteurs et/ou productrices de la pièce.

Cette expression plus authentique est primordiale pour plusieurs cultures qui pourraient voir l’expression de leur culture leur échapper à d’autres fins. En effet, comme le souligne Alexandra Lorange après une rencontre à plusieurs avec Robert Lepage et Ariane Mnouchkine :

«Je me questionne vivement sur la manière de créer des costumes ou des maquillages, sans nous», dit la diplômée en musique et en théâtre. Lors de la rencontre, Robert Lepage a annoncé que des tambours seraient utilisés. Ses commentaires font dire à Alexandra Lorange qu’il fait preuve de méconnaissance. «Il ne comprend pas le processus d’apprentissage du tambour. C’est de l’ordre du sacré. Lui, il sort du spirituel et en fait quelque chose de différent.»

La question de l’appropriation d’une culture et sa déformation peut donc être prévenue, si pas totalement, du moins en grande partie en laissant les personnes concernées s’exprimer au cœur de la pièce. En faisant participer les Sioux à la pièce, Zitkala-Ša permettait, volontairement ou non, à celles et ceux-ci de pouvoir intervenir en tant qu’artistes et acteurs dans l’opéra. Ces interventions, on peut l’imaginer, pourrait même prendre des tournures subversives si la critique ne peut pas être adressée de front (un excellent exemple télévisé a eu lieu avec la série Homeland).

Cependant, l’histoire nous apprend aussi qu’une œuvre issue des personnes concernées peut être rapidement reprise et appropriée par les mauvaises personnes. Une décennie après la première représentation, le compositeur Hanson s’arrogera tout le crédit de l’opéra après la mort de Zitkala-Ša dans la dernière représentation connue de la pièce en 1938. Hafen explicite ainsi les motivations et les intentions du compositeur : « At worst, Hanson could be identified as a « wanna-be, » as evidenced by a photo where he is dressed in beaded buckskins, or as an Indian lover who attempts to consume Native ritual through his own cultural views. Even the best case for Hanson, that he was sympathetic and had good intentions, does not mitigate his own self-representation as sole composer of the opera. » Je n’oserais certainement pas la comparaison entre Lepage et Hanson, le premier ne tente pas de reprendre le travail de d’autres et de s’en déclarer seul créateur; mais l’idée des bonnes intentions, des sympathies, etc. pour créer une œuvre qui s’éloigne de sa culture d’origine est certainement un point dont les deux artistes doivent accuser la critique et réfléchir à aller au-delà des «bonnes intentions» qui peuvent très bien nuire en véhiculant des clichés et des stéréotypes à la culture qui se veut honorée.

Dans le processus de colonisation de l’opéra The Sun Dance Opera, il y a aussi l’idée d’absence de représentations qui touche aux discussions que SLĀV avaient amorcées et que celles de Kanata ont poursuivies. Les Sioux n’ont, apprend-t-on, pas autant participé à l’opéra qu’ils auraient dû malgré les nombreuses scènes qui leurs étaient consacrées! « Ironically, though, in Utah the lead singers were non-Indian while the chorus and dancers were mostly Utes. The exception was the improvised performance of Old Sioux (also known as Bad Hand), a centenarian under guardianship of the Bonnins. In the New York performances, the leads were played by several urban Indians and the chorus and dancers were non-Indians.». Interprétations et représentations qui, de nos jours, ne seraient certainement pas accessible à une subvention gouvernementale et pourraient même être considérées comme une variante du redface pour certaines personnes. La décision du Conseil des Arts du Canada de ne pas subventionner Kanata est consistante avec ce qui se déroule de plus en plus dans les universités : on rejette l’idée d’objectifier les populations étudiées et on propose plutôt leur participation dans les études et spectacles pour justement permettre de devenir sujets et acteurs de leur narration et cesser d’en être des objets dépossédés. Le travail universitaire ne peut plus uniquement être une thèse qui accumulera la poussière sur les étagères, mais avoir un impact réel et positif sur les conditions de vie des personnes étudiées. Malgré une représentation sur scène partielle et décevante dans le Sun Dance Opera, on devrait retenir que même pour une pièce de 1913, la présence des Sioux sur scène faisait partie intégrante et non négociable du spectacle. Que le manque de personnes concernées sur scène était critiquable malgré une distribution qui leur laissait tout de même une large place. Ces critiques adressées (certes en 1998 pas en 1913) sont certainement semblables à ce qui est discuté aujourd’hui.

Les discussions sur l’appropriation culturelle et le manque de représentation ne datent donc pas d’hier. Il est toutefois assez consternant de voir qu’une œuvre comme Kanata qui partage plusieurs visées communes avec The Sun Dance Opera n’a pas appris plus qu’il ne le fallait de cette expérience notamment en ce qui à trait à la sacralité de certaines danses et musiques (par exemple, l’utilisation du tambour enlevé de son contexte), la représentation et la participation des personnes concernées (ne serait-ce que dans le processus créatif) ou encore l’utilisation des traditions des Premières Nations dans un but qui peut être bien intentionné, mais qui, au final, reproduit toujours les mêmes structures de pouvoir où l’objet de la pièce porte sur des autochtones, mais dont seuls les colonisateurs ont un droit de regard, d’auctorialité et de création sur l’œuvre.

Pendant ce temps, on se demande encore où sont les fonds pour subventionner une pièce d’une envergure similaire à Kanata, mais par des personnes issues des Premières Nations. Faut-t-il forcer la main et obliger en plus une parité culturelle dans le financement comme le fait l’ONF et Téléfilm Canada avec une parité des genres pour permettre une juste représentation des différentes communautés (ce qui n’empêchera toutefois pas les inégalités issues des fonds privés)? Empêcher l’accumulation de financements de différents organismes afin que certains artistes ne cumulent pas les bourses et en privent ainsi d’autres de les obtenir? Simplement continuer avec le refus de subventionner des pièces qui parlent d’une communauté sans l’impliquer comme le Conseil des Arts du Canada le fait? Parallèlement à ces propositions de réformes, il faut poursuivre les discussions, et c’est là une des rares propositions sur lesquelles tout le monde s’accorde, dans l’espace publique sur les problèmes de représentations et de leurs conséquences sur la parole qui n’est ainsi pas prises, sur les images que ces représentations projettent, mais aussi sur qui sont les artistes qui une visibilité, du financement et si ces mêmes artistes privent ou restreignent en fait l’expression de d’autres artistes. Aussi, et finalement, qui sont les personnes qui tiennent ces discussions et possèdent le pouvoir de diffuser leur pensée?

Sources

HAFEN, P. Jane, «A Cultural Duet Zitkala Ša And The Sun Dance Opera». Great Plains Quarterly 2028, 11 pages, 1998. En ligne.
HAFEN, P. Jane. Dreams and Thunder; Stories, Poems and The Sun Dance Opera. University of Nebraska Press, coll. Bison Books, 2011, 172 pages.
Il existe aussi un documentaire vidéo sur The Sun Dance Opera en allemand (je n’ai donc pas pu m’en inspirer pour la rédaction de ce billet).